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Péloponèse, et Topal-Pacha se disposait à faire subir à l’île de Samos le même sort qu’à Psara. La crainte commençait à s’emparer des principaux chefs hydriotes. Le trésor public était épuisé, la plupart des navires incapables de tenir la mer. Les armateurs, appauvris et découragés, hésitaient à subvenir aux frais d’une expédition nouvelle qui menaçait d’absorber leurs dernières ressources. Toutes ces difficultés disparurent devant l’enthousiasme inspiré au peuple par la grandeur du péril. La foule, conjurant les primats de pourvoir au salut de la patrie, envahit les maisons de ceux qui paraissaient céder au découragement, et les força de se rendre au monastère de la Panagia, où l’assemblée des armateurs ne tarda pas à se trouver au complet. Le poète Alexandre Soutzo, qui assistait à cette réunion, raconte que, malgré sa grande jeunesse, il fut profondément ému à la vue de ces graves sénateurs presque tous blanchis par l’âge, célèbres par leurs vertus ou leurs grandes actions, et agitant le sort de leur pays avec une majestueuse tranquillité au milieu des cris et des démonstrations violentes de la multitude. Lazare Condouriottis démontra qu’abandonner Samos, ce serait porter à Hydra un coup mortel. Il fallait donc équiper sur-le-champ trente-cinq navires, tandis que leurs voisins de Spezzia en armeraient vingt-cinq. Les Psariotes eux-mêmes pouvaient encore fournir à la flotte une dizaine de petits bâtimens. L’assemblée, que l’exaltation populaire avait rapidement gagnée, acclama ces propositions. « Maintenant donc, s’écria Miaoulis, entrons dans nos murailles de bois ; elles ont sauvé la Grèce sous Thémistocle, elles la sauveront encore aujourd’hui. »

Les Grecs mirent à la voile au commencement du mois d’août. Le navarque gouverna sur Candie, après avoir envoyé son lieutenant Sachtouris, avec trente bricks, à la poursuite de Topal-Pacha devant Samos. La division de Miaoulis doubla vers le milieu de la nuit le cap Matapan, autrefois cap Ténare, que les anciens regardaient comme l’un des principaux soupiraux de l’enfer. De pauvres ermites se succèdent de temps immémorial dans ces lieux tourmentés par de perpétuelles tempêtes et consacrés par de sombres traditions. Les roches abruptes et dangereuses de Matapan sont encore aujourd’hui un objet de frayeur pour les pilotes de l’Archipel, qui racontent à ce propos une foule de funèbres légendes et s’imaginent souvent y voir errer des fantômes de naufragés. Aussi ne fut-ce pas sans une secrète émotion que les superstitieux Hydriotes passèrent pendant la nuit auprès du terrible promontoire. Tout à coup un immense feu illumina le sommet du rocher le plus voisin de la mer, et les Grecs distinguèrent une ombre gigantesque qui s’agitait et tendait les bras vers eux. Ils reconnurent bientôt que ce personnage,