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Les Psariotes se trouvèrent pris entre deux feux, et les épisodes de cette lutte ne sont comparables qu’à ceux qui terminent la sanglante histoire de Souli. On vit des soldats blessés ou brisés de fatigue se brûler la cervelle, afin de ne pas tomber vivans aux mains de l’ennemi, des vieillards se tuer sur le cadavre de leurs fils, des femmes se précipiter dans la mer avec leurs nourrissons[1]. Enfin douze cents braves se retranchèrent dans la haute forteresse de Palœocastron, qui contenait l’arsenal et la poudrière ; ils y laissèrent pénétrer trois mille Albanais, mirent le feu aux poudres, et se firent sauter pêle-mêle avec les assaillans. Quelques centaines de fugitifs réussirent cependant, la nuit suivante, à traverser les lignes ottomanes sur des chaloupes abandonnées ; ils passèrent à Syra, Hydra et Égine.

Pendant que s’accomplissait ce désastre, qui causa à la marine grecque d’irréparables pertes, les flottes d’Hydra et de Spezzia étaient une fois encore occupées à réparer leurs avaries. Les matelots se reposaient au sein de leurs familles, et bien peu de vaisseaux se trouvaient en état de prendre la mer. Quelques Psariotes abordèrent à Hydra et y firent connaître les calamités dont leur patrie venait d’être victime. Aussitôt le tocsin sonna dans les églises et dans les monastères, appelant la population aux armes d’un bout de l’île à l’autre. Deux heures après, Miaoulis levait l’ancre avec un nombre de navires suffisant pour tenter une rapide vengeance. Le 30 juin, il tomba sur l’arrière-garde des Turcs, qui se retiraient à Mytilène, en abandonnant à elle-même, sur le stérile rocher qu’ils venaient de conquérir, une garnison de plusieurs milliers d’Albanais ; il coula à fond neuf galiotes et pénétra hardiment dans le port de Psara. Le vieil amiral, se levant alors de la place où il se tenait habituellement assis, saisit un porte-voix et s’écria, en rappelant les mots de la devise inscrite sur le pavillon grec[2] : « À terre, à terre, mes amis ! la liberté ou la mort ! » À ces paroles, les marins s’élancèrent dans leurs canots et abordèrent sous une grêle de balles. Leur élan fut irrésistible ; ils égorgèrent ou jetèrent à la mer les Albanais, auxquels Topai n’envoya aucun secours, et ils repartirent, ne laissant après eux qu’un désert jonché de cadavres.

Cependant Ibrahim, ayant quitté Alexandrie, se dirigeait vers le

  1. On nous a cité une femme, la tante, nous disait-on, de Constantin Canaris, qui, à l’âge de plus de cinquante ans, franchit à la nage un espace de trois milles et se sauva dans l’îlot inhabité d’Antipsara.
  2. Le pavillon grec était assez compliqué : le fond en était bleu ; une croix blanche occupait le centre ; il y avait à droite une ancre enlacée par un serpent ; à gauche, le hibou d’Athènes surmonté d’une couronne de lauriers, et ces mots pour devise : Θάνατος ἢ ἐλευθερία (Thanatos ê eleutheria), la mort ou la liberté. Ce pavillon fut ensuite remplacé par un autre qui se compose de neuf bandes horizontales blanches et bleues avec une croix au centre.