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tune, et qu’il avait ornée avec une élégance et une recherche tout européennes. Il espérait y achever tranquillement ses jours ; mais les circonstances le forcèrent à sortir du repos, et son nom retentit une fois encore dans l’Archipel, à la lueur d’un dernier et terrible incendie. Peu de mots suffiront pour expliquer les causes qui firent naître cet événement. L’administration du comte Capodistrias avait soulevé presque dès le début une opposition violente qui avait pour centre Hydra, pour principaux chefs Lazare Condouriottis et Maurocordato, et pour organe l’Apollon, journal rédigé par le virulent publiciste Polyzoïdès. Cette puissante faction accusait publiquement le gouverneur de conspirer contre la nation et de se faire le docile instrument de la politique moscovite. Miaoulis était fort ennemi des Russes. Il avait conservé le souvenir de la fatale expédition de 1770, bien qu’il fut très jeune alors, et il parlait souvent avec véhémence de la cruelle manière dont les deux Orlof s’étaient éloignés des côtes du Péloponèse, abandonnant à la vindicte musulmane les Grecs soulevés par eux. Il partageait donc toutes les craintes des primats hydriotes, dont l’opposition dégénéra bientôt en révolte ouverte. Une commission dite constitutionnelle fut instituée à Hydra et reconnue par la majeure partie de l’archipel. Capodistrias, qui avait jusqu’alors usé de patience, songea à réprimer l’insurrection par la force ; il donna ordre d’armer dans le plus bref délai la flottille de l’état réunie à Poros et composée d’une frégate de 64 canons, la Hellas, de deux corvettes, deux bateaux à vapeur et quelques brûlots. Ce petit nombre de bâtimens, achetés à grands frais dans divers ports, formait toute la puissance navale de la Grèce ; c’était le noyau d’une marine militaire régulièrement organisée et n’obéissant qu’au chef de la nation. Sur l’ordre formel des démogérontes d’Hydra, qui avaient pénétré le secret de ces préparatifs, Miaoulis partit précipitamment pour Poros[1] avec deux cents marins, et, secondé par les habitans de l’île, il s’empara de l’arsenal et des vaisseaux de l’état. Son intention était de les mettre en mesure de prendre la mer, afin de les conduire à Hydra et de les y garder jusqu’à la solution du débat élevé entre ses compatriotes et le gouverneur (28 juillet 1831). Le célèbre Canaris commandait la corvette la Spezzia ; les Hydriotes se saisirent de sa personne et le conduisirent en présence du navarque. Celui-ci essaya vainement de l’attirer dans sa cause : trouvant son ancien frère d’armes inébranlable, il lui rendit la liberté et lui tendit la main comme autrefois ; Canaris fit un geste de

  1. Située sur la côte orientale du Péloponèse, à l’entrée du golfe Saronique, à trois lieues seulement d’Hydra.