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jeune adolescent ne le prend pas de haut avec le monde, il ne se querelle pas avec la destinée; il n’a ni les ardeurs effrénées des gloires précoces, ni les surexcitations factices de tous ceux dont une tension perpétuelle fausse les facultés. Il est simple et naturel. C’est qu’en effet tout lui avait souri jusqu’à l’heure où la vie lui manquait. Il avait vingt-sept ans à peine quand il est mort ; il était né en 1831, en pleine Touraine, dans une famille où l’étude était une tradition. Son grand-père était un médecin distingué de Tours, son père était lui-même membre correspondant de l’Académie de médecine, directeur de l’école secondaire de sa ville natale. Enfin Alfred Tonnelle trouvait en naissant la fortune assise à son foyer. Ce jeune bomme reçut le double et tout-puissant bienfait de l’éducation de famille alliée à l’éducation publique, tantôt à Tours, tantôt à Paris. Je ne dirai pas que M. Alfred Tonnelle ait été un enfant prodige, je ne tirerai même aucun augure de cette circonstance que sur les bancs du collège il faisait passer un jour une phrase de Paul et Virginie à un de ses compagnons d’étude pour le consoler de la perte de son frère; mais il est très vrai qu’il entrait dans la vie avec une nature primitive heureusement douée et dirigée avec un art mêlé de tendresse maternelle, avec un vif instinct de tout ce qui est beau, avec un goût de l’étude stimulé et développé par l’instruction elle-même, avec la connaissance familière de la langue anglaise et de la langue allemande, deux instrumens merveilleux pour ouvrir à l’esprit des mondes nouveaux. Quelquefois il achève sa pensée en allemand ou en anglais, il emploie l’une de ces langues pour suppléer à une expression française. Dès lors ce n’est plus l’enfant, c’est le jeune homme des Fragmens qui se dévoile, se raconte et se peint lui-même à son insu, sans soupçonner que ces notes tout intimes deviendront un jour un testament de jeunesse dérobé à l’obscurité, car en lui il n’y a rien de l’homme de lettres se costumant pour le public, se préoccupant du lecteur, cet ami inconnu qui est souvent un ennemi inconnu.

Un des traits essentiels et caractéristiques d’Alfred Tonnelle dans ses premiers momens, c’est l’ardeur avec laquelle il saisit tout ce qui offre un aliment à son esprit; c’est une sorte de fraîcheur naturelle d’intelligence et d’imagination. Il sent ses facultés s’éveiller une à une; il se prend de passion pour la philosophie comme pour la peinture, pour les langues comme pour la musique ou pour la nature elle-même, et partout il porte cette virginité d’impressions qui est le charme de la jeunesse. Il est réellement ému du beau sous toutes les formes, et il se sent pour ainsi dire grandi à chaque émotion nouvelle. Rien ne révèle mieux une riche organisation. « Avant-hier, écrit-il à sa mère en 1851 après une visite au Louvre,