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sion d’une idée. D’où vient le charme suprême de la Belle Jardinière de Raphaël? C’est que « tout est esprit, tout concourt à l’idée de pureté, de naïveté : le sein, la forme du front, jusqu’au moindre brin de cheveu... » Où est le secret de la beauté de la Diane chasseresse? Il est dans le mouvement fier et majestueux, dans ce vera incessu patuit dea, de même que dans la Polymnie « tout est harmonieux et concourt à exprimer l’idée de méditation calme, intérieure, un peu rêveuse. » Rien n’est indifférent. Si Rubens, dans sa Kermesse, veut représenter une fête populaire, il ne se bornera pas à exprimer le mouvement par les poses; il le mettra partout, dans les vêtemens, dans l’exubérance de la couleur et de la lumière. « Si l’artiste veut nous montrer un visage ou une scène qui inspire la pitié, la terreur, il se gardera de nous placer dans un milieu qui conserve pour ainsi dire son air indifférent, calme... Le vêtement, les plis, les ustensiles, la couleur, la lumière même, tout sera en harmonie et exprimera à sa manière la même idée. » Il faut donc que la pensée se laisse voir à travers tout, transluceat, selon le mot de l’auteur. C’est ainsi que l’art sous ses formes diverses, qu’il s’appelle la peinture, la poésie ou la musique, procède de la même source, tend au même but, et devient une création incessante, dont l’élément générateur est l’idée morale de la personnalité humaine, observée dans tous ses mobiles, ses passions, ses sentimens et ses aspirations.

Je ne veux pas dire que ces idées soient d’une nouveauté absolue; elles résument le spiritualisme dans l’art; elles voyagent dans le monde depuis Platon; elles se lient à la splendeur des grands siècles; elles sont les conseillères secrètes des artistes de génie, qui s’en inspirent et les confirment souvent à leur insu. Qu’on songe cependant que bientôt il faudra quelque force d’esprit pour reconstituer en soi-même ces pures et supérieures notions. M. Alfred Tonnelle en avait en lui-même l’instinct naturel, et il les fécondait par l’étude. Il ressentait vivement toutes les choses de l’art, au point de s’en faire une exquise et délicate souffrance. « Je ne connais qu’un bien ici-bas, dit-il, c’est le beau, et encore n’est-ce un bien que parce qu’il excite et avive nos désirs, non parce qu’il les comble et les satisfait.. Ce n’est pas une pure distraction, une récréation facile que je cherche dans les arts et dans la nature. Dans tout ce qui me touche, je sens que l’amour que j’ai pour le beau est un amour sérieux, car c’est un amour qui fait souffrir. Où chacun trouve des jouissances ou du moins les adoucissemens et les consolations de la vie, je sens comme une nouvelle et délicieuse source de tourmens. La splendeur d’une soirée, le calme d’un paysage, un souffle de vent tiède de printemps qui me passe sur le visage, la