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divine pureté d’un front de madone, une tête grecque, un vers, un chant, que tout cela m’emplit de souffrance! Plus la beauté entrevue est grande, plus elle laisse l’âme inassouvie et pleine d’une image insaisissable. » C’est avec cet esprit, c’est à la lumière de ces idées du spiritualisme dans l’art que le jeune penseur étudie Rembrandt et Titien, Van-Dyck et Giorgione, Albert Dürer et Rubens, Bach et Mozart, Racine et Shakspeare, et il fait souvent de ces idées de neuves et ingénieuses applications. Pour lui, tout vit, tout a un caractère moral, un sens intime qui se dégage et apparaît comme la lumière à travers un vase d’albâtre. Ses Fragmens ne procèdent pas d’une critique didactique; ce sont des médaillons vivans et parlans, pleins de sentiment et de couleur, tracés en courant le soir au retour d’une visite à la Pinacothèque de Munich ou à l’exposition de peinture de Manchester, à la National Gallery de Londres ou au château de Belvoir-Castle, qui garde les Sept Sacremens de Poussin, au musée de Dusseldorf ou au Louvre. Et voyez quelques traits de ce philosophe, de ce poète de la critique !

« VAN-DYCK. — Wallenstein. — Au musée Lichtenstein, à Vienne. — Le portrait de Wallenstein efface tout. Rien en fait de portrait n’est aussi vivant, aussi présent et parlant, en même temps aussi idéal. C’est un homme et c’est une idée. Rien n’est plus la représentation matérielle d’un caractère, d’une âme, d’un type moral, et rien n’est plus parfait comme exécution et comme effet. Tout est réuni... Si ceci n’est pas vraiment le portrait de Wallenstein, c’est bien le type idéal qu’on aimerait à s’en créer. La pose a quelque chose d’inquiet et d’agissant. Une main tombe négligemment sur la garde de l’épée, une main splendide, tout en lumière; l’autre, les doigts à demi ouverts, comme quelqu’un qui calcule, à demi dans l’ombre. La tête a quelque chose d’étrange et d’un peu égaré. Dans cet œil bleu si vif semblent se refléter de bizarres et hardies imaginations; le teint est jaune, mat, sans couleur; les narines gonflées, les moustaches blondes, relevées très haut en crochet; le front admirablement éclairé d’en haut. Toute la poésie de l’aventure est dans cette tête-là. C’est un homme hardi, pas précisément chevaleresque; il manque d’élévation morale, d’enthousiasme, de grandeur et de calme, mais il a de l’imagination, et au besoin de la témérité. Air d’officier de fortune très accusé, type autrichien, tête qui fascine. On comprend l’enthousiasme des soldats pour un pareil homme. Pas de noblesse, mais on sent dans cette âme des côtés mystérieux, singuliers, poétiques. Tête à visions. La passion peut l’agiter, mais non une passion tendre. Il est là comme regardant d’un air brillant et vif ses propres pensées; on respecte sa méditation, on craint de le troubler dans ses calculs. »