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Il y a un mois en effet, au moment où la crédulité de beaucoup de gens voulait que la législation de 1852 fût au premier jour réformée par un décret, nous faisions remarquer que cette réforme ne pouvait s’accomplir ni dans les conditions que l’on supposait, ni par conséquent à cette époque de l’année. Le décret de 1852, disions-nous, a le caractère d’une loi, et ne peut être modifié que par une mesure législative. En admettant que le gouvernement voulût prendre lui-même l’initiative d’une réforme de la législation sur la presse, encore serait-il obligé d’attendre la prochaine session et la réunion du corps législatif et du sénat. Nous allions plus loin : nous reconnaissions que le gouvernement avait, devant cette question, le choix entre deux systèmes : il pouvait prendre l’initiative de la réforme en présentant au corps législatif le projet d’une nouvelle loi organique de la presse, ou bien, « ce qui est toujours permis, ajoutions-nous aussi, à un gouvernement, ce qui souvent n’est même de sa part qu’un acte de sagesse, » il pouvait, dans la crainte de devancer les vœux et les besoins publics, laisser aux citoyens la tâche de tirer des institutions existantes les progrès qu’elles comportent, et attendre que la pressé fît elle-même la conquête des libertés qu’elle considère comme ses garanties. Pleins de déférence pour l’initiative gouvernementale, scrupuleusement attentifs à ne la compromettre par aucune conjecture indiscrète sur sa direction future, nous nous renfermions dans le cercle légal où il est permis aux citoyens d’étudier leurs intérêts moraux, intellectuels et matériels, et de faire entendre leurs vœux aux pouvoirs publics. Nous indiquions la voie constitutionnelle par laquelle la grande cause des libertés de la presse peut se plaider et se gagner. Disposés sans doute à recevoir avec joie toute réforme, de quelque façon qu’elle s’accomplisse, nous ne cachions pas qu’à nos yeux la vraie liberté est un bien laborieusement gagné, et non une munificence paresseusement attendue, et que nous préférons la liberté qui se conquiert à celle qui s’octroie. L’on voit donc que les publications du Moniteur ne devaient pas plus nous décourager que nous surprendre.

Puisque d’avance nous nous étions ainsi mis en règle, si l’on veut bien nous passer l’humilité du mot, sur les points qui ont motivé les notes du Moniteur et la circulaire ministérielle, nous pourrions, pour ce qui nous concerne, nous abstenir de commenter ces documens. A nos yeux, ils constatent surtout ces deux choses : d’abord l’intérêt que la question de la réforme de la presse excitait depuis quelque temps, car l’on conviendra que le gouvernement ne se croit obligé de parler que lorsque la chose en vaut la peine, et ensuite, dans le gouvernement, la résolution de maintenir encore la législation de 1852. Le gouvernement persistant dans cette résolution, ce qui ne nous étonne pas, nous ne sommes pas étonnés davantage des raisons alléguées dans la circulaire de M. le ministre de l’intérieur. Ce n’est point avec M. le ministre de l’intérieur que nous avons à débattre les argumens que l’on invoque en faveur du régime actuel de la presse, c’est avec les rares journaux qui se font les apologistes de ce régime. Nous aimons mieux rechercher dans la circulaire ministérielle des indications sur l’esprit qui devra présider à l’application du décret de 1852. Ces indications, si l’on se place au point de vue relatif d’un état de liberté tolérée, devront paraître rassurantes.