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Mme Crawford s’emporte contre la tyrannique surveillance qui arrive à conclure de pareilles unions. Je ne sais si la surveillance est aussi inutile en Angleterre qu’elle y paraît odieuse ; mais on ne saurait en nier l’utilité dans un pays où le tempérament et l’imagination sont embrasés par le soleil brûlant du midi. Cette attention que les Italiens portent au mariage de leurs enfans a d’ailleurs donné naissance à une institution qui a déjà ses titres de noblesse, et dont le principe est excellent, je veux dire le Mont-des-Filles, comme on l’appelait autrefois, et la Société de Saint-Jean-Baptiste, comme on l’appelle aujourd’hui. On donne aux pauvres filles, quand elles se marient, une dot de 50 écus, environ 275 francs de notre monnaie. Si modique que soit cette somme, elle n’est pas sans importance en Italie pour des gens de cette condition. À quel prix cependant ne faut-il pas acheter cette faveur ! Les filles nubiles qui y prétendent doivent avoir rempli jusque-là leurs devoirs religieux avec une exactitude scrupuleuse ; chaque fois qu’elles manquent d’assister à l’office, elles sont tenues de présenter une excuse : à la troisième absence, elles perdent tous leurs droits, fussent-elles les plus vertueuses du monde. À trente-cinq ans, si elles n’ont pas trouvé un mari, elles sont mises à la réforme et ne peuvent plus rien obtenir. Quoi de plus propre à encourager l’hypocrisie et la chasse aux maris ? C’est ainsi qu’il est toujours facile de dénaturer les meilleures institutions.

Rien ne contribue plus à l’abaissement des femmes que l’éducation qu’elles reçoivent, ou plutôt l’ignorance d’où leurs familles ne jugent pas à propos de les tirer. Il n’y a pas de pays en Europe où l’on ne puisse faire, sur ce point, le procès aux institutions ; mais ce que Mme Crawford rapporte de la Toscane dépasse toute croyance. Comme il n’est pas facile aux hommes d’observer les jeunes filles, et que l’accès des établissemens où s’écoulent stérilement leurs plus précieuses années est à peu près interdit, il faut, sinon croire Mme Crawford sur parole, du moins l’écouter avec la curiosité qu’un sujet si peu connu mérite, et avec l’attention que commande sa sincérité.

C’est un fait admis que l’instruction est surtout répandue dans les pays protestans ; parmi ceux qui n’ont pas secoué les lois de l’église, on peut suivre du nord au midi les fâcheux résultats de l’ignorance. Que dire pourtant de l’Italie sous ce rapport ? Non-seulement l’ignorance règne dans le peuple italien, mais la petite bourgeoisie elle-même n’a pas encore su s’en affranchir. Mme Crawford cite à ce propos l’exemple d’une personne qu’elle vit aux bains de Monte-Catini, et qui était la femme d’un fonctionnaire d’un rang honorable. Eh bien ! cette excellente mère de famille, dont l’extérieur et la tenue commandaient le respect, ne savait ni lire ni écrire. Le piquant de l’affaire, c’est qu’elle était fille d’un maître d’école. Comme Mme Crawford lui marquait sa surprise : « Mon père, répondit la pauvre femme, pensait que de semblables connaissances sont inutiles à notre sexe, et que l’avantage que j’en retirerais ne valait pas le dérangement et le mal que nous nous donnerions tous deux, lui pour enseigner, moi pour apprendre. » Veut-on se rabattre sur ce qu’on appelle dans la péninsule les éducations brillantes ? Deux jeunes filles qu’on présenta un jour à Mme Crawford passaient pour des modèles ; elles excitaient la jalousie de toutes les mères. Ces petites merveilles savaient jouer passablement du piano, balbutier quelques mots de français, dire en anglais good morning et good night. Du reste.