la main des Irlandaises à la lumière de la chandelle. Il y a en effet un art d’éclairer le hareng et de lui redonner les nuances argentées de la fraîcheur. Comme je rôdais un soir à l’une des entrées de Rosemary-Lane, je vis une vieille Irlandaise entre deux filles aux cheveux noirs luisans, aux grands yeux gris frangés de longs cils, au jupon court et aux pieds nus. Les Irlandaises parlent volontiers avec les étrangers, surtout avec les Français, qu’elles considèrent comme bons catholiques. Elle m’apprit qu’elle et sa famille avaient été chassées de l’Irlande par une famine. Jeune alors, elle s’était bien vite faite à la vie des rues de Londres, car c’est un des caractères de cette race naturellement dure que de s’accommoder tout de suite à toutes les dures conditions. Ses deux grandes filles brunes vendaient de leur côté, et elle du sien ; seulement l’argent gagné était confondu dans une bourse commune. Elle ne se plaignait point trop du commerce, mais elle regrettait le beau temps du choléra. Alors, grâce à la panique (un mot du reste qu’elle ne comprenait pas), les plus beaux fruits, les melons, les ananas (west-indian pine-apples), couraient les rues de Londres. « Je ne veux de mal à personne, ajoutait-elle ; mais si le choléra revenait, ce serait un grand bienfait de la Providence pour les gens de notre classe. »
Les costermongers représentent la branche la plus importante du commerce des rues : il faut pourtant leur adjoindre les hawkers et les pedlars. Les hawkers sont ceux qui crient sur la voie publique toute sorte de marchandises. Ils forment une classe très ancienne et qui jouissait, je dois le dire, dans le vieux temps, d’une assez mauvaise réputation. Le nom de hawkers vient du mot anglais hawk (faucon). On a cru sans doute trouver quelque analogie entre leur vie errante et celle des anciens fauconniers (hawkers), qui allaient chassant leur gibier çà et là. Les pedlars, eux, sont des colporteurs qui voyagent à pied dans la campagne ou dans les faubourgs de Londres. Ils n’annoncent point à haute voix leur marchandise, mais ils visitent les maisons qui se rencontrent sur leur chemin. Parmi les hawkers, il y en a qui crient dans les rues le produit de leur travail : à la fois ouvriers et marchands, ils ont supprimé ce que les économistes appellent l’intermédiaire. De ce nombre sont surtout les vendeurs de jouets d’enfans. Les autres donnent une valeur de circulation à des objets confectionnés par d’autres mains. Ils vendent tout, des objets d’art, des almanachs, des portefeuilles, des puzzles[1], des épices, des coquillages plus ou moins rares, des oiseaux, des poissons rouges. Cette classe de marchands des rues est plus éclairée que celle des costermongers.
- ↑ Sorte d’énigmes ou de charades.