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cun bachi-bozouk dans son camp. Nous ne pensions plus au choléra; mais la troisième division y pensait : elle avait établi un véritable cordon sanitaire autour d’elle; nous étions des pestiférés! On vint m’apprendre qu’un de mes bachi-bozouks venait d’être tué par un tirailleur d’infanterie. Il n’en était rien heureusement, et je doute même que les armes des tirailleurs fussent chargées. Quelle conclusion cependant tirer de ce fait? Une bien naturelle : c’est que si vous voulez être reçu à bras ouverts, il ne faut pas avoir eu le choléra.

Nous arrivâmes à Varna le 7 août 1854, et l’on nous envoya camper loin de la ville, dans des bois près d’un grand lac. Quelques jours après, nous reçûmes l’ordre de reprendre notre ancien bivouac sous le canon de Varna. La question d’organisation, qu’on avait complètement négligée pendant le choléra, reparut alors sous une nouvelle forme. Ce n’était plus la formation des bachi-bozouks qu’il s’agissait de diriger, c’était leur licenciement qu’il fallait régulariser. C’est un dernier chapitre de leur histoire qui, comme tous les autres, a sa signification militaire.


V.

Le général Yusuf était rentré à Varna, me laissant le commandement des bachi-bozouks. Le voile était tombé; il fallait renoncer à l’organisation qui avait éveillé tant d’espérances. Entouré de gardes et de chaous, j’occupais la tente que le sultan avait mise à la disposition du général, vaste maison en toile, avec une galerie commode pour la promenade. Chaque jour, le général venait me trouver dans cette belle habitation pour passer la revue des bachi-bozouks, qui rentraient en fort petits groupes dans le camp. Ce qui les alléchait, faut-il le dire? c’était la solde qu’on leur faisait régulièrement sous les yeux mêmes de leur sultan. Nous possédions des mercenaires dans toute l’acception du mot.

Pouvait-on utiliser ce qui nous restait de cette masse confuse? La question fut posée un moment. Nous avions parmi les bachi-bozouks des Arabes de Syrie, excellens cavaliers, qui offraient une grande analogie avec nos spahis d’Afrique. On pensa qu’il serait facile d’en tirer quelques régimens, dont le commandement, après triage, serait destiné au brave capitaine Magnan, qui parlait leur langue. Commandée par un officier aussi brave et aussi intelligent, cette cavalerie irrégulière toute prête aurait pu rendre à l’Alma un immense service. Je n’ai jamais su pourquoi l’idée d’une telle création fut abandonnée. Il est probable que l’on était fatigué d’expériences. On destinait au général Yusuf la division d’infanterie turque, qu’il commandait en effet à l’Alma. Quoi qu’il en soit, la perte