je feuillette la plupart des volumes qui passent par mes mains, car j’aime les livres, ce sont mes enfans. Les bons auteurs ont également mes sympathies ; quant aux mauvais, je ne m’en soucie guère : ils nous font plus de tort que de bien, car nous sommes obligés de promener leurs livres d’un endroit à l’autre pendant des mois. Un jour, dans le cercle de mes auditeurs, je reconnus Southey, que j’avais vu venir dans la boutique de mon ancien patron. J’avais lu avec un plaisir extrême son Docteur. Vous connaissez ma méthode de vente, qui consiste à proclamer pour chaque volume un prix élevé que je réduis ensuite de shilling en shilling ou de penny en penny jusqu’au sixième de la valeur annoncée d’abord. L’expérience m’a démontré que cette méthode valait mieux que celle de l’enchère. Je lus dans les yeux de Southey qu’il avait envie d’un de mes livres, — une vieille édition rare, — et je me hâtai de descendre au-dessous même du prix que ce livre m’avait coûté, — un shilling et six pence. Je le lui aurais offert pour rien si je n’avais craint d’éprouver un refus. Quelle fut ma tristesse quand il me mit dans la main une couronne et s’éloigna au moment où j’allais lui rendre la monnaie de sa pièce ! Je le rappelai ; mais lui, secouant la tête : — Gardez, dit-il, le livre vaut cela pour moi. »
Il y a deux autres types de Cheap-Jack, l’un plus ou moins sérieux, l’autre tout à fait bouffon. Le premier vend de tout, depuis une aiguille jusqu’à une ancre de vaisseau, comme il le dit lui-même dans une fameuse harangue destinée à arrêter la foule des passans. Voici à peu près l’exorde de son discours habituel : « Vous voyez en moi le vrai, le seul Cheap-Jack de Sheffield. Je ne suis point venu ici pour gagner de l’argent, fi donc ! Je suis venu ici dans l’intérêt seul du public. Je veux que vous sachiez combien vous avez été exploités jusqu’à ce jour par une bande de pompeux boutiquiers, lesquels gagnent plus de cent pour cent sur leurs marchandises. Voici une pétition, — que n’ai-je le temps de vous la lire ! — dans laquelle on m’offre une grosse somme d’argent, si je consens à m’en aller d’ici ; mais non : je suis trop votre ami pour ne point vous éclairer sur les pratiques scandaleuses du négoce… » Le second Cheap-Jack y met beaucoup moins de façons. « Méfiez-vous, dit-il, de mes paroles : je suis le plus grand imposteur qui existe au monde. À chaque mensonge que j’oubliais de faire, quand j’étais petit, ma mère me donnait un soufflet, mon père un coup de pied. Vous allez pourtant juger par vous-mêmes que nul ne peut vendre à meilleur marché que moi : j’achète toutes mes marchandises à crédit, et j’entends bien ne les payer jamais. » La plupart des Cheap-Jacks sont Irlandais, quoiqu’il y ait beaucoup d’Anglais parmi eux. Ils vivent dans des chariots couverts durant l’été, et dans une boutique quelconque ou un hangar durant l’hiver.