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de M. Mistral, il le proclame lui-même, lorsqu’il écrivit son poème de Miréio. Nous n’ignorons pas avec quel amour le jeune écrivain a composé son œuvre, que de longues années il a consacrées à la polir, à en effacer les taches, à y sertir maintes pierres précieuses dans l’or, comme un lapidaire qui travaille au collier d’une reine. Cette reine, pour M. Mistral, nous savons que c’est sa Provence bien-aimée, mais nous savons aussi qu’il a voulu faire proclamer à Paris la royauté de la Provence littéraire. Exprimons toute notre pensée; nous n’avons pu ouvrir son livre sans une vive inquiétude. Cette préoccupation de la critique, ce voyage à Paris, cette mise en scène, ces habiletés, ce succès si ardemment poursuivi, tout cela nous semblait un oubli fâcheux des conditions de la poésie populaire. Voyons cependant, lisons le poème : l’auteur a placé en regard le texte destiné à ses paysans et la traduction destinée aux lettrés; comparons la traduction et le texte.

Mireille est la fille du fermier Ramon, qui habite le mas des Micocoules. Vincent, fils de maître Ambroise, le vannier de Valabrègue, est amoureux de Mireille, qui, voyant sa bonne mine, son âme tendre et loyale si bien peinte dans ses regards, jure de ne pas épouser un autre que lui. Hélas! elle ne sait point, la pauvre enfant, qu’à la campagne comme à la ville la richesse pour les jeunes filles est souvent un gage de malheur. Mireille est riche, Vincent est pauvre; le jour où maître Ambroise vient raconter à Ramon quel mal d’amour tourmente son fils, maître Ramon, hors de lui, insulte le vieux vannier; le vieillard se redresse, prend son bâton et son manteau, et part en jetant de sinistres paroles à la maison inhospitalière. La prédiction de malheur s’accomplit. Mireille fuit le toit paternel, elle traverse la Crau, elle descend le Rhône; où va-t-elle ainsi, la fille désespérée? Elle va invoquer les saintes Maries, Marie-Madeleine, Marie Jacobé, Marie Salomé, à l’endroit même où, selon la légende, elles abordèrent en Provence après la mort de Jésus, à l’endroit où des milliers de malheureux viennent chaque année en pèlerinage et croient entendre leur voix dans le murmure des flots. Triste pèlerinage pour la belle amoureuse! Accoutumée à l’ombre des micocouliers, elle ne se défie pas du soleil de la Camargue, et tombe frappée par les implacables rayons. Elle tombe, elle meurt, consolée du moins par la présence de tous ceux qu’elle a aimés. Son père, sa mère, Vincent, tous sont accourus à son lit de mort. Au moment des adieux suprêmes, le délire emporte son âme, et elle croit voir les saintes Maries, les belles marinières, qui, à travers les flots étincelans, la conduisent dans le ciel bleu.

En quelques mots, voilà l’histoire de Mireille; mais M. Frédéric Mistral a le don de voir tout en grand et d’imprimer un signe de