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mettent beaucoup trop la dépendance de l’esprit vis-à-vis de la matière, ou elles font injure à la nature humaine en réduisant à un travail de mémorisation tous ses progrès dans la vérité. » M. de Pressensé n’est pas plus satisfait des autres mythologues, qui, sous prétexte de distinguer le fond de la forme, ramènent tous les cultes du passé à un seul type. Que Benjamin Constant aperçoive sous ces symboles variables une même religion naturelle qui est l’éternelle révélation de la conscience, ou que Creuzer y découvre l’incessante expression du sentiment que la nature est un être animé, cela n’importe : ces deux systèmes, aussi bien que celui de Bossuet, pour qui toutes les mythologies révèlent seulement le même aveuglement, reviennent toujours à supprimer l’histoire et le développement génétique des religions. On ne peut plus parler d’une évolution de la conscience; les signes seuls sont différens, la chose signifiée est constamment la même.

La théorie de M. de Pressensé est à la hauteur de sa critique. On peut ne pas accepter la croyance qui relie ses élémens; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle est plus compréhensive qu’aucun des systèmes rejetés par l’auteur; c’est qu’elle rend mieux compte des différences et des rapports que les uns ou les autres ont relevés dans les mythologies, et qu’elle sait le faire en admettant à la fois l’action divine et l’activité propre de la conscience humaine, l’influence des circonstances et celle d’une tradition primordiale.

L’idée religieuse qui cimente cette théorie historique est la foi au péché originel et à la grâce; mais le péché originel aussi s’est spiritualisé. Ce n’est plus seulement une réprobation extérieure qui pèse sur l’homme par suite d’un acte commis par le père de tous les hommes : c’est une dégradation morale qui s’est engendrée dans la nature humaine alors qu’Adam s’est donné au mal, et qui de lui s’est propagée chez tous ses descendans. Cette chute, cette existence d’un mal inhérent à notre être et qui le trouble, qui lui cause un vague effroi et un besoin tourmenté d’apaiser la Divinité, est, aux yeux de M. de Pressensé, le fait dominant et permanent qui s’atteste par l’histoire du paganisme comme du judaïsme. Les opinions modernes sur le progrès ne tranchent pas la difficulté, elles la tournent en en créant une autre. « C’est faire violence à la conscience que d’assimiler le mal à une imperfection naturelle qui ne serait qu’un degré nécessaire dans l’échelle de notre progrès. Il faut donc en attribuer l’origine aux déterminations mauvaises de la volonté de l’homme. Il a pris parti contre Dieu à cette mystérieuse époque qui précède l’histoire, et qui comprend l’épreuve solennelle par laquelle il devait passer comme tout être appelé à l’usage sérieux de la liberté. En se dérobant à la loi de l’esprit, il est tombé sous la