Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/884

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le triomphe final et universel du principe spirituel dans l’humanité, et que la volonté du Tout-Puissant est certaine d’être la plus forte. Si c’était là une erreur et si la vérité était par hasard, je ne dirai pas du côté de ceux qui nient, mais de ceux qui comprennent autrement l’Esprit saint; si elle était du côté des chrétiens aux yeux desquels l’Esprit est surtout l’influence qui touche et gagne le cœur, tandis que c’est plutôt l’Écriture et l’enseignement humain qui sont chargés de communiquer la vérité, tout le système de M. Bunsen tomberait en pièces. A juger d’après l’expérience, répéterai-je, il n’y a que trop lieu de présumer que toutes ces congrégations et ces individualités indépendantes, toutes ces petites sociétés livrées au vote des majorités, ces mille molécules dégagées de tout lien obligatoire et rendues à leurs seules affinités, courraient grand risque d’écouter souvent l’esprit qui n’inspire pas l’union, la raison qui ne pousse pas à l’Évangile.

Je ne veux point oublier toutefois que le passé ne sait pas tout et ne peut pas tout prophétiser. L’avenir n’est pas uniquement une reproduction, il est aussi un avènement, et quand il est question de ce que les hommes peuvent devenir un jour, on n’est plus dans le domaine du jugement : on est dans la sphère légitime du sentiment, dans celle où l’on a droit, où l’on est même forcé de tirer ses espérances de ses désirs et ses volontés de ses tendances, sous peine d’être condamné à rester dans l’indécision. Le rêve de M. Bunsen ne se réalisera-t-il donc jamais? Ne viendra-t-il pas un temps où, sans que les individus renoncent à leur liberté, leur conscience suffira pour les bien conduire, où il ne sera plus nécessaire que des multitudes soient soumises à une loi qu’elles n’ont pas faite, où les sociétés seront capables de fonctionner harmonieusement sans qu’il soit besoin d’une administration dont l’efficacité soit garantie par les vices même des administrateurs, par l’intérêt qu’ils ont, comme caste distincte, à soutenir la législation et le gouvernement auxquels sont attachés leur bien-être et leur importance sociale? Ne viendra-t-il pas un temps où l’humanité en un mot ne sera plus dans le terrible dilemme de subir des pouvoirs qui lui enlèvent le droit d’obéir à sa conscience, ou de n’user de sa liberté que pour se rendre la vie impossible? Heureux ceux qui croient! Pour ma part, je sens péniblement qu’en tout cas nous sommes loin de cette ère heureuse; mais ce n’est pas une raison pour que l’espérance ne soit pas bonne aussi et n’ait pas son utile mission ici-bas. Les uns, avec plus d’intelligence que d’imagination, sont portés à se rendre compte des mobiles qui jusqu’à ce jour ont déterminé les actions humaines; les autres accomplissent peut-être une tâche plus noble en imaginant, sous la dictée de leurs aspirations, un idéal qui les satisfasse mieux que la réalité du moment, et en travaillant ainsi à développer chez