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dans les faits, ce système présente par cela même dans son application de graves difficultés. Ces difficultés tiennent plus encore peut-être au tempérament du peuple italien qu’à l’ancienne division politique de la péninsule. Ce qui domine, ce qui explique en effet l’histoire de l’Italie depuis la chute de l’empire romain, c’est une théorie entièrement opposée à la conception fédérative; nous voulons parler de la théorie du droit impérial : droit abstrait, mal défini, invoqué tour à tour par l’Italie contre l’Allemagne, par l’Allemagne contre l’Italie, symbole de grandeur et d’unité en même temps que source de misères et de discordes, si faible qu’il ne put rien fonder, si fort qu’il faut encore aujourd’hui compter avec lui.

Dans sa fameuse circulaire du 29 avril 1859, M. de Buol disait à l’Europe : «L’Autriche est une puissance conservatrice, pour laquelle la religion, la morale et le droit historique sont sacrés... La Lombardie a été pendant des siècles un fief de l’empire d’Allemagne. Venise fut donnée à l’Autriche en échange de sa renonciation à ses provinces belges... La domination de l’Autriche sur le Pô et l’Adriatique est un droit solide et inattaquable sous tous les rapports. » Depuis lors, la fortune de la guerre a décidé contre l’Autriche, mais les actes officiels constatent encore que l’Autriche, en faisant la paix, cède ses droits sur la Lombardie. Toutefois on ne saurait nier que cette transaction ne soit un pas décisif. Là où l’Autriche représentait l’ancien droit impérial qui a constamment et fatalement pesé sur le sort de la péninsule, elle n’est plus : elle ne subsiste que dans un pays où son autorité est récente, qu’elle ne possède de son aveu que par voie d’échange, et qu’elle a promis de rattacher elle-même à la grande famille italienne. Le droit impérial et la domination étrangère subissent ainsi du même coup un irréparable échec. L’autorité, même modifiée, que l’Autriche conserve dans la Vénétie a dû froisser assurément le sentiment national italien; mais elle aura pour résultat de tenir ce sentiment en éveil, de l’empêcher de s’alanguir après un enthousiasme passager. Enfin ce qui importe le plus, c’est que l’Autriche ne puisse faire pencher en sa faveur l’équilibre des forces, et la première condition de cet équilibre, c’est aussi que les gouvernemens inertes, les souverainetés nominales qui se partageaient le centre de l’Italie se transforment en un état compacte, ayant une vie propre, une autonomie réelle, une direction nationale.

On a dit ici même, et en un certain sens avec raison, que politiquement la situation anormale de l’Italie avant la dernière guerre était un fait tout moderne, que la domination étrangère dans ce pays n’était point fondée sur une possession traditionnelle, sur une légitimité interrompue, puis rajeunie par quelque retour de fortune, mais qu’elle dérivait uniquement du droit tout-puissant de la force.