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conséquences, ne sont pas si faciles que l’on croit à effrayer et à mortifier. On peut même être femme et ne pas se sentir atteint par les divagations de l’ivresse ou les hallucinations de la fièvre, encore moins par les accusations de perversité qui viennent à l’esprit de certaines gens habitués à trop vivre avec eux-mêmes. On peut aussi supporter le blâme irréfléchi des esprits frivoles ou l’injure systématique des cerveaux rétrogrades, et, sans perdre le respect dû à toute conviction naïve, répondre à tous : Vous n’avez pas regardé assez avant pour bien voir l’utilité de mon courage et le résultat final de ma mission.

Selon nous, l’artiste doit donc se dire qu’il lui a toujours été et qu’il lui sera toujours commandé d’utiliser son expérience et de tracer la peinture du cœur humain tel qu’il a battu en lui-même, ou tel qu’il s’est révélé à lui chez les autres dans les grandes antithèses de la vie. Le goût, qui est une règle d’art, et le respect des personnes, qui est une règle de conduite, exigent seulement de lui une fiction assez voilée pour ne désigner en aucune façon la réalité des personnages et des circonstances. S’il ne s’est jamais écarté de ce principe facile et simple, il est en droit de répondre — à quiconque se permettra de l’interroger et de le commenter publiquement — qu’une telle recherche est brutale, inconvenante, mortelle pour la dignité de la critique et attentatoire à la liberté de l’écrivain, qu’en outre elle est maladroite, puisque ceux qui prétendent deviner une figure de roman et s’offenser de quelque ressemblance trahissent imprudemment et misérablement un secret que l’auteur avait gardé, et livrent au public des révélations qui ne lui étaient pas destinées. Ces déplorables vengeurs salissent ce qu’ils touchent, et toute âme honnête doit demander au ciel d’en préserver sa mémoire.

Mais il est un moyen de rendre ces fureurs impuissantes et de faire qu’elles crient sans écho dans le vide : c’est de ne jamais écrire sous l’oppression d’un mauvais sentiment ; c’est d’être vrai sans amertume et sans vengeance ; c’est d’être juste et généreux envers le passé qu’on s’est remis sous les yeux ; c’est de ne peindre les malheurs du caractère ou les égaremens de l’âme qu’en cherchant et en découvrant leur excuse dans la fatalité de l’organisation ou des circonstances ; c’est enfin de garder le respect que l’on doit au génie, et de prouver, par tous ces égards du cœur, le tendre pardon final qu’il est si naturel et si doux d’accorder aux morts.

Ces réflexions nous ont semblé utiles à placer en tête d’un roman quelconque. Le roman est un art nouveau, c’est une création de notre époque. Ce siècle a vu vivre et mourir miss Edgeworth, Mme de Staël, Walter Scott, Cooper, Balzac, et bien d’autres. L’éducation du public est cependant encore un peu ii faire, car au milieu de tous