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nétique. Triste et morose, il vient de congédier ses courtisans et ses esclaves. Il est seul, il ouvre la bouche, et dans un bâillement s’adresse aux sphinx de marbre qui soutiennent son trône, et qui portent écrits sur leur front les noms des biens que recherchent les hommes : gloire, bonheur, santé, beauté, amour. « Désennuyez-moi, sphinx, parlez-moi de ces biens dont le nom est écrit sur vos fronts. Parlez, je le veux, car je suis le conquérant, le maître et le vainqueur.

… Je ne suis pas ce qu’on nomme un mortel.
Quand le moment viendra que je quitte la terre,
Étant le jour, j’irai rentrer dans la lumière ;
Dieu dira : « Du sultan je veux me rapprocher. »


Imprudent Zim-Zizimi ! Les sphinx lui obéissent, comme il convient de faire avec un si puissant seigneur. Ils chantent un chant plein de grandeur et de majesté, mais ce chant célèbre la puissance d’un souverain plus redoutable que le Soudan. La reine Nitocris fut puissante, où est-elle aujourd’hui ? Dans le tombeau de la haute terrasse. Nemrod fit trembler la terre, qu’est-il devenu ? Chrem fut grand et eut des statues d’or, et maintenant on ignore

… Dans quel sombre puits ce pharaon sévère
Flotte, plongé dans l’huile, en son cercueil de verre.


Et Bélus ? Sa tombe croule au désert. Et Cambyse ? Il est mort. Et Sennachérib, et Rhamsès, et Cléopâtre ? Morts. Ainsi, à tour de rôle, les sphinx chantent les diverses strophes du lugubre poème de la mort. Le néant de la gloire et de la vie humaine est un de ces lieux-communs poétiques qui peuvent servir de pierre de touche pour reconnaître les grands poètes. Ces lieux-communs exigent, pour être rajeunis et pour fournir autre chose que de vaines déclamations, de la simplicité et de la grandeur dans la pensée. Les pensées simples et grandes abondent dans le poème de M. Hugo, dont l’imagination s’est mise sans effort cette fois au niveau de son sujet. Le poète a célébré la mort en termes dignes de la grande déesse, avec la solennité grave et religieuse de la Bible, mais en y mêlant quelques traits de cette ironie cynique que provoquent la nudité et le ricanement horribles du squelette ; il a mêlé l’accent biblique aux bouffonneries d’Hamlet. Écoutez quelques-uns des couplets de cette complainte.

Si grands que soient les rois, les pharaons, les mages
Qu’entoure une nuée éternelle d’hommages,
Personne n’est plus haut que Téglath-Phalasar ;
Comme Dieu même à qui l’étoile sert de char,