Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/1009

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est toujours le même principe : prendre en détail chaque service et le pousser jusqu’où il peut aller. L’école des matelots fusiliers n’a pas d’autre objet. Sans doute, à bord d’une escadre, tout marin a toujours su se servir d’un mousquet ; mais avant ces derniers temps on s’en fiait plus à l’habileté individuelle qu’à l’instruction des hommes et à la qualité des armes. C’est notre armée de terre qui a donné à notre armée de mer l’exemple et le goût d’un tir de précision. Nulle part ce tir n’était mieux approprié, ni plus utile que dans des combats où tous les officiers, depuis l’amiral jusqu’à l’enseigne, sont à découvert et où les feux qui se croisent du pont et des hunes peuvent, autant que ceux des batteries influer sur l’issue d’un engagement. L’école des matelots fusiliers fournira désormais cette instruction spéciale : elle reproduit pour les équipages ce qu’a fait l’école de tir de Vincennes pour les bataillons de chasseurs à pied ; on y apprend à manier les armes perfectionnées qui frappent des coups sûrs à de grandes distances. Plus récente que celle des canonniers, cette école n’a pas dit son dernier mot ; elle ne forme que sept cents sujets ; elle en pourrait aisément former mille, qui répandraient promptement dans la flotte de bonnes habitudes de tir. L’un de ces avantages est de se recruter surtout parmi les hommes du contingent de terre, qui, plus patiens et plus dociles que les marias, se prêtent plus aisément aux soins de détail et aux exercices fréquens qu’exigent les nouvelles armes.

Enfin il est un dernier cadre où les conscrits figurent à peu près exclusivement, c’est celui des ouvriers chauffeurs, travail ingrat, mais recherché à raison de la solde beaucoup plus forte qui s’y attache. Une des conditions imposées aux chauffeurs, c’est d’apporter la preuve qu’ils ont été ouvriers en métaux, et les gens des classes sont très rarement dans ce cas. C’est donc parmi les hommes déjà accoutumés aux feux des forges que sont choisis les chauffeurs, et cet élément ne se rencontre que dans la conscription ou les engagemens volontaires. Ainsi toutes ces institutions spéciales qui viennent d’être énumérées, école des canonniers, école des fusiliers, cadre des chauffeurs, sont autant de débouchés qui se sont ouverts aux hommes du recrutement. Ils y figurent à côté des marins des classes à titre égal, si ce n’est supérieur, et chacune de ces catégories est ainsi appelée à faire valoir les qualités qui lui sont propres dans des conditions de rivalité profitables au service de l’état.

Ces institutions spéciales ont un autre avantage, si évident qu’il est à peine utile d’y insister. En créant dans chaque service un type de perfection pour ainsi dire, elles élèvent l’instruction des équipages à un niveau que jamais cette instruction n’avait atteint. On sait quelles ont été, en industrie, la force et la vertu du principe de la division du travail ; c’est ce principe qui, appliqué à l’art militaire et naval, y multiplie les corps doués d’aptitudes et investis d’attributions particulières. Ce système peut avoir ses inconvéniens, si on en abuse ; appliqué dans une certaine mesure, il apporte, comme on a pu s’en convaincre, un remarquable supplément de vigueur aux armées qui les premières en ont fait l’application. Pour la flotte, restée jusqu’ici sous l’empire d’une instruction trop générale, ce soin des spécialités, si on y persiste, donnera à chaque détail plus de valeur et à l’ensemble plus de puissance. Il ne faut pas croire d’ailleurs que l’idée en soit entièrement nouvelle,