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(jour des expiations), enfin au moment de la gracieuse solennité qu’on appelle les cabanes. J’allais donc vivre en plein Israël pendant les deux plus riantes fêtes de l’année, Pâque et les cabanes, aussi bien que pendant les jours sombres et redoutés du rosch has-chonnah et du kippour. J’allais pour quelque temps rentrer dans ce monde inconnu à la majorité des lecteurs profanes, et vers lequel m’attiraient mes plus anciens souvenirs d’enfance. Les scènes auxquelles j’assistai ne trompèrent pas mon attente : j’y reconnus la civilisation austère et forte, fruit de l’exil et du moyen âge, qu’une première excursion dans l’Alsace juive m’avait déjà fait entrevoir, et qu’il faut se hâter de décrire, car les conditions mêmes des sociétés modernes la condamnent à disparaître.


I

Ma première visite devait être pour le village de Bolwiller et pour l’excellente famille au sein de laquelle j’avais déjà trouvé un accueil hospitalier, celle du père Salomon, braye et digne vieillard qu’entourait avec une compagne fidèle toute une couvée jeune et florissante, deux jolies filles au beau type oriental et trois garçons au corps robuste, à la mine éveillée. C’était sous le paisible toit du père Salomon que j’allais passer les fêtes de la pâque juive en 1858.

Le 14 du mois de nissan (29 mars), je prenais donc le chemin de fer de Strasbourg à Bâle, qui devait me conduire à Bolwiller, où j’étais attendu vers deux heures de l’après-midi. L’œil fixé sur les riantes plaines à travers lesquelles m’entraînait la locomotive, je recueillais mes souvenirs sur ces mille coutumes invariables depuis les temps les plus reculés de l’histoire juive, et qui donnent un caractère d’originalité si profonde à la pâque des Hébreux : antique et curieuse fête, instituée pour rappeler la sortie d’Égypte et la miraculeuse délivrance d’Israël, quand, fuyant en toute hâte, les Hébreux emportèrent avec eux la pâte destinée au pain avant même qu’elle fût levée. De là le nom de fête des azymes et l’usage de manger pendant la pâque du pain sans levain. Je me rappelais en même temps avec quelle exactitude minutieuse les Israélites alsaciens, exagérant sans doute la pensée du législateur hébreu[1], se préoccupent d’enlever le levain de leurs maisons deux semaines avant Pâque. Pendant quinze jours, quel mouvement, quelle activité

  1. Formulée ainsi dans l’Exode (c. XII, v. 15, 18) : « .Vous mangerez pendant sept jours du pain sans levain, et les premiers jours vous ôterez le levain de vos maisons. Au premier mois, le quatorzième jour du mois au soir, vous mangerez des pains sans levain jusqu’au vingt et unième jour du mois au soir. Il ne se trouvera pas de levain dans vos maisons pendant sept jours. »