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Cependant le père Salomon avait entamé la prière de bénédiction qui ouvre la fête et la cérémonie. Les coupes avaient été remplies jusqu’au bord. La prière faite, le fils aîné de la maison, Schémelé, se leva, prit une aiguière sur une table voisine et versa de l’eau sur les mains du chef de la famille ; puis, sur un signal donné par notre hôte, tous les convives se levèrent à demi. Nous avançâmes tous la main vers le plat qui contenait les azymes, et à haute voix, nous dîmes ces mots placés en tête de la Haggada : « Voici le pain de la misère que nos pères ont mangé en Égypte, Quiconque a faim, qu’il vienne manger avec nous ! Quiconque est nécessiteux, qu’il vienne faire la pâque ! » La présence du mendiant Lazare à table mettait d’une manière touchante l’application en regard du précepte. La récitation continua. Selon l’usage, un des fils de la maison, le plus jeune, prenant la parole, demanda à son père, toujours en hébreu, et en lisant le passage dans la Haggada, ouverte devant lui : « Pourquoi toute cette cérémonie ? » Et le père répondit, les yeux fixés aussi sur le texte de la Haggada : « Nous avons été esclaves en Égypte, et l’Éternel notre Dieu nous en a fait sortir avec une main puissante et un bras étendu. » Chacun récita aussitôt d’après la Bible l’histoire détaillée de la merveilleuse sortie d’Égypte avec tous les miracles opérés par Dieu en faveur de son peuple et tous les bienfaits dont il le gratifia. Puis on goûta aux divers objets symboliques placés dans les soucoupes et exposés sur le plat. Devant le maître de la maison, et à côté de sa coupe, se dressait une autre coupe, d’une dimension beaucoup plus considérable. Salomon la remplit de son meilleur vin. À qui donc était destinée cette coupe ? C’était la coupe d’Élie le prophète, Élie, ce bon génie d’Israël, hôte invisible il est vrai, mais toujours et partout présent aux grandes cérémonies.

Le premier acte du séder était alors terminé. Le second, c’est-à-dire le repas, commença. Ici mon rôle d’observateur se bornait à remarquer l’abandon cordial qui régnait dans cette réunion de famille et la familiarité toute patriarcale avec laquelle intervenait dans la causerie le mendiant Lazare, mis à l’aise par d’amicales questions du père Salomon. Il y avait bien longtemps déjà que Lazare venait chaque année, aux grandes fêtes, s’asseoir à cette table ! Ces filles, ces jeunes gens, il les avait connus enfans, et si, en répondant à mon hôte ou en le questionnant à son tour, il plaçait devant son nom la formule de herr (monsieur), en revanche il n’appelait les filles et les fils de Salomon que par leur petit nom. Ce petit, vieillard, personnification saisissante de la Judée nomade, cumulait, je l’ai dit, avec le métier de schnorrer (mendiant) celui de marchand de livres hébreux. En cette double qualité, il parcourait pendant l’année entière