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Élie, se multipliant à l’infini, entrait à pareille heure dans toute maison Israélite où se célébrait le séder. Il était là comme le délégué de Dieu. Les coupes vidées après la prière de la bénédiction se remplirent en même temps pour la quatrième fois. On chanta ensuite quelques-uns des plus beaux psaumes de David[1] avec des inflexions traditionnelles. On célébra encore la sortie miraculeuse de l’Égypte avec tous les événemens qui l’ont précédée, accompagnée et suivie. Dans ce pieux concert, chacun rivalisait de zèle, d’entrain et de voix. Lazare avec sa basse formidable dominait tout. Les femmes, qui chez les Israélites ne doivent jamais chanter en public, mêlent ce soir leurs voix aux saints cantiques. La grande Hana, libre de son service, ses grosses mains rouges sur les hanches, debout derrière sa maîtresse, était plongée dans une sainte admiration. Les chants se prolongèrent, les libations devinrent de plus en plus copieuses. Ainsi le veut l’usage. À neuf heures, les femmes se retirèrent, les hommes restèrent à leur poste. Ce soir-là, on ne fait point avant de se livrer au repos la prière habituelle ; on est convaincu que cette nuit et la nuit suivante sont des nuits privilégiées pendant lesquelles Dieu veille, comme jadis en Égypte, sur toutes les maisons d’Israël. Peu à peu, sous l’influence toujours croissante du rangué et du kitterlé, et avec les dernières récitations d’usage, les yeux des convives restés à table s’allumèrent, les voix traînèrent, les têtes s’appesantirent. L’heure du sommeil, l’heure de la séparation était venue, et je me dis en regagnant ma chambre que la maison du père Salomon avait cette nuit-là grand besoin de la protection divine, car le digne homme et ses hôtes me semblaient des gardiens fort mal préparés à exercer quelque surveillance.

La cérémonie du séder se répéta absolument identique le lendemain soir, à la même heure, c’est-à-dire aussitôt qu’il fit nuit close. Ce jour-là et le lendemain (30 et 31 mars ou 15 et 16 du mois de nissan), il y a grande fête. On va au temple de bonne heure. Hommes et femmes étalent avec complaisance leurs habits et leurs robes, tout frais terminés. C’est plaisir de voir ces braves gens parcourir les rues du village, raides et empesés. On dîne à midi, et l’après-dînée est consacrée aux visites qu’on fait ou qu’on reçoit. Salomon, vu son rôle important dans la communauté, était de ceux qui attendaient les visites. Dans ce cas, en Alsace, on reçoit son monde à table, où le chef de la famille et tous les siens demeurent assis jusqu’à l’heure des vêpres. Le dessert reste sur la table et se renouvelle durant toute l’après-dînée, à mesure que les visiteurs le

  1. Psaumes 115, 116, 118, 156.