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consomment. Dès qu’il entre quelqu’un, on l’accueille par ce salut hospitalier : Baruch-htaba (béni soit celui qui vient là) ! On lui fait prendre place à table, et immédiatement la servante pose devant lui un verre rempli du meilleur vin du pays. Vers les deux heures et demie, la salle où nous nous tenions était presque comble. Le bruit des conversations était assourdissant. Il y avait là Iékel, le frère de mon hôte, avec de nombreux parens, le voisin Samuel, le ministre officiant, l’instituteur communal et le schamess de Bolwiller. Quels étaient les objets de cette conversation bruyante et confuse ? Il serait difficile de le préciser. Le fait est qu’autour de moi on parlait un peu de tout. Il était question à la fois de politique, de chemins de fer, de synagogues récemment construites ou à construire, d’élections consistoriales, de nominations de parnassim (administrateurs des communautés juives), de la foire à bestiaux de Lure et de Saint-Dié. Enfin le coucou placé dans un coin cria quatre heures, et l’assemblée se sépara pour aller à la prière de minha (après-midi).

La fête de Pâque, comme celle des cabanes, dure huit jours ; mais sur ces huit jours, quatre seulement sont des jours de grande fête. Les jours intermédiaires, au nombre de quatre, sont des demi-fêtes seulement, appelées halhamoed. Ces demi-fêtes ont un caractère particulier. Pendant le halhamoed, les hommes laissent là les grosses affaires et n’expédient que le courant. Les femmes, en demi-toilette, ne travaillent pas, mais se font visite, ou se promènent soit aux abords du village, soit dans les villages voisins. C’est aussi pendant les jours de halhamoed que les galans vont voir leurs belles, et que se font d’ordinaire les fiançailles en Israël.

Le premier de ces jours de demi-fête, le père Salomon m’avait emmené sur un char-à-bancs, attelé de son petit cheval gris, dans un bourg des environs, à Dornach, chez un de ses parens. Vers le soir, nous revenions à Bolwiller. Le père Salomon faisait trotter le petit gris tout en fumant avec délices du tabac dit violette dans sa pipe des iontof (jour de fête). Le bonhomme avait grande envie de me faire ses confidences sur l’établissement qu’il rêvait pour son fils Schémelé. Comme je lui annonçais mon projet d’accepter une invitation pour la fête des cabanes, que je devais passer chez le petit Aron, un marchand de montres de Hegenheim : — Ah ! s’écria-t-il, vous irez passer les cabanes chez mon ami Aron,… à Hegenheim ! — Puis il reprit avec un sourire mystérieux, et en appuyant sur chaque mot : — Eh bien ! il n’est pas impossible que nous nous retrouvions à Hegenheim, et cela… pendant le halhamoed des cabanes

— Eh quoi ! père Salomon, repris-je frappé d’une idée soudaine,