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de la richesse et de la puissance nationales. Que la Grande-Bretagne vienne à perdre ses colonies d’Amérique, l’épée d’un commis de comptoir, transformé subitement en un habile capitaine, soumet le Bengale à la domination d’une compagnie anglaise, et prélude à la conquête de tous les empires de l’Inde. Qu’un nouvel empire d’Occident ferme ses ports aux produits de la Grande-Bretagne, ses trésors stipendient les armées de tous les rois, et les efforts d’une coalition dont elle est l’âme finissent par renverser le géant qui menaçait son existence. L’Angleterre a de merveilleuses ressources pour réparer ses échecs militaires et politiques ; elle n’en a pas trouvé jusqu’à présent, je ne dirai pas pour guérir une plaie sociale qui sera toujours plus ou moins celle de tous les peuples, mais pour sortir d’une situation qui multiplie le nombre des indigens dans une proportion sans exemple. L’importance du résultat annoncé par la reine justifie donc la place qu’il tient dans son discours, et cette diminution du paupérisme, si elle était réelle et progressive, en démontrant l’efficacité des systèmes économiques particuliers à l’Angleterre, contribuerait puissamment à la solution d’un problème dont l’étude incessante sera peut-être l’honneur de notre siècle. Malheureusement une si belle espérance ne soutient guère un examen sérieux. On sait qu’en Angleterre, indépendamment des pauvres secourus par l’assistance officielle, il en existe un très grand nombre à la charge de la charité privée. On sait aussi que tous les efforts des administrations locales et du conseil central tendent à faire passer dans la seconde catégorie les indigens de la première. À peine la reine a-t-elle proclamé la diminution du paupérisme, que le comte de Shaftesbury, présidant le 2 mai 1859 la dix-septième assemblée annuelle de l’école et du refuge de Field-Lane, déclare l’urgente nécessité d’une nouvelle ragged-school pour deux cents enfans et de nouveaux asiles de nuit. N’est-ce point là un fâcheux commentaire du discours royal ?

On est allé jusqu’à voir dans la situation intérieure de l’Angleterre le germe d’une révolution sociale plus radicale et plus subversive que toutes les révolutions politiques. L’abîme de misère au-dessus duquel s’élève l’échafaudage de l’industrie anglaise paraît effrayant à quiconque visite les grandes villes du royaume-uni ; mais qu’on ne s’exagère pas ici les périls : le caractère national a plus d’une fois surmonté de pareilles épreuves, et avant de nous occuper des mesures qui pourront apporter un nouveau soulagement à tant de maux, il convient de faire connaître celles qui ont sauvé le pays au moment où il allait s’engloutir dans le gouffre du paupérisme. L’histoire de cette réforme et de la loi qu’elle a modifiée