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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/344

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l’aliment que la mer apporte à la navigation intérieure ou reçoit d’elle a peu changé de point de chargement, et les relations par eau avec la haute Seine sont à Rouen infiniment plus multipliées qu’au Havre. Depuis que les chemins de fer tendent à détrôner la navigation fluviale elle-même et lui enlèvent le transport de toutes les marchandises de quelque prix, Dieppe, plus rapproché de Rouen et de Paris que Le Havre, semblerait devoir lutter à armes égales. Cependant, loin de paraître compromise, la prééminence du Havre se montre mieux affermie et plus en progrès que jamais. C’est qu’en effet elle repose sur une base qui n’est pas moins immuable que les allures des marées. La durée de la hauteur d’eau nécessaire aux mouvemens d’entrée et de sortie dans les ports est à l’embouchure de la Seine très supérieure à ce qu’elle est dans nos autres ports de la Manche, et cette circonstance confère au Havre un avantage que rien ne saurait balancer. Ceci exige une explication.

Nous sommes à l’heure de la molle-eau : la mer, descendue à son niveau le plus bas, laisse à découvert de longues grèves dont elle doit bientôt reprendre possession. Au bout de quelques minutes d’immobilité, un frémissement imperceptible annonce que la marée entre de l’Atlantique dans la Manche. Bientôt des ondulations puissantes élèvent rapidement le niveau des eaux du canal. Cette énergique propulsion marche parallèlement à l’équateur, et le flot court du cap de Barfleur au cap d’Antifer. Au sud de la ligne qu’il trace s’ouvre la baie de la Seine[1] : couverte par la presqu’île du Cotentin, elle ne reçoit point le vif mouvement de translation qui vient de l’Océan, et tant que les eaux de la Manche proprement dites s’élèvent, elles dominent celles de la baie ; mais cet exhaussement ne peut pas avoir lieu sans qu’à l’instant même les eaux qui le produisent ne s’épanchent sur le plan inférieur qui leur est adjacent, et n’en entraînent la masse fluide dans leur mouvement. C’est ainsi qu’à peine cessent-elles d’être soutenues par la côte de Cherbourg, elles se précipitent avec violence dans le vide qu’elles trouvent sur le revers oriental du cap de Barfleur ; elles forment le redoutable raz de ce nom, et deviennent la tête d’un courant qui va côtoyer tout le rivage du Calvados. Cependant, à mesure que le flot marche vers l’est, il laisse couler ses eaux sur la pente latérale qui les sollicite, et quand il atteint au cap d’Antifer la côte de Caux, il se divise en deux branches : celle du nord, obéissant à l’impulsion générale, suit la rive oblique qui la conduit vers Dieppe ; celle du sud descend vers Le Havre. Dans ce mouvement, résultant de l’opposition des forces de

  1. La baie de la Seine a, du cap de Barfleur au cap d’Antifer, 104 kilomètres d’ouverture, de cette ligne à la côte du Calvados 45 kilomètres de profondeur, et 200 kilomètres de développement de cotes. Voyez, sur cette baie, la Revue du 15 avril 1854.