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ou ralentissent les dépôts, les rapprochent ou les éloignent des places où leur présence doit rétrécir le domaine de la navigation ; si lentes que soient ces alternatives, elles ne sont jamais dans le cours des siècles qu’un instant imperceptible, et l’œuvre de la nature n’en avance pas moins. Depuis le jour où la Seine a commencé de couler, chaque heure, chaque minute verse dans son embouchure un contingent faible ou fort de remblai, et la perpétuité de ce tribut la comblerait à elle seule à la longue. Les lois de la nature sont immuables, et l’on ne peut pas plus arrêter ces atterrissemens qu’empêcher la Seine de couler ; mais on peut en dériver une partie, et l’on a déjà de la sorte enrichi l’agriculture par des travaux exécutés pour l’amélioration de la navigation. M. Doyat et M. Beaulieu, qui se sont succédé dans la direction des travaux d’endiguement de la basse Seine, ont constaté que les digues établies depuis 1846 en amont de Quillebeuf ont procuré la conquête de 1,406 hectares, au travers desquels divaguaient les eaux qu’ils ont disciplinées. Ces procédés, appliqués avec réserve, peuvent produire un grand bien. Employés sans discernement, ils conduiraient à des malheurs dont il n’est donné à personne de calculer l’étendue.

Les atterrissemens qui descendent avec les eaux douces ne sont malheureusement pas les seuls dont il y ait à s’inquiéter, et ceux que déterminent les vents du large et les marées concourent, dans une proportion bien plus menaçante, à l’exhaussement du fond de l’atterrage. Les explications données plus haut sur les allures des marées devant Le Havre ont fait pressentir l’influence qu’elles doivent exercer sur les dépôts terreux de l’entrée de la Seine, et, puisque nous étudions l’action des courans marins sur les rivages qu’ils corrodent ici, il importe de remarquer que sur toute la côte la marche du flot est beaucoup plus rapide que celle du jusant. D’après les Instructions nautiques publiées par le dépôt de la marine, la durée moyenne du courant de flot est devant Le Havre de cinq heures dix minutes, et celle du courant de jusant de sept heures quinze minutes, ce qui établit entre les vitesses le rapport de 100 à 71 ; mais, soit concours des ondes de la mer montante, soit circonstances locales encore imparfaitement connues, la différence des vitesses semble être, sur divers points de la côte, fort supérieure à celle qui vient d’être indiquée, et l’on entend les pêcheurs, dont les préjugés même sont rarement tout à fait hors du chemin de la vérité, prétendre que la vitesse du flot est souvent triple de celle du jusant. Il n’est pas indispensable d’avoir la mesure exacte de ces différences pour juger que la marche des matières charriées par les courans doit en être gravement affectée. Si la durée du flot était égale à celle du jusant, les forces d’entraînement de ces deux courans