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question est indispensable pour la parfaite intelligence de l’état présent et de la direction des études médicales. MM. Littré et Robin, dont l’importante publication répand tant de lumière sur les tendances de la médecine, l’ont compris à merveille, et ils ont fait, dans l’édition nouvelle qu’ils nous donnent du Dictionnaire de Nysten, une grande place à l’histoire. C’est par l’histoire aussi que nous essaierons d’éclairer les caractères et les directions de la médecine contemporaine, nous appliquant à montrer comment les controverses du passé pourraient servir à l’instruction du présent.


I

Tous les hommes souhaitent d’être heureux, et il n’est point de bonheur parfait sans la santé, ce qui a fait dire au poète que la suprême félicité, c’est d’avoir un esprit sage dans un corps sain. De là l’importance de la médecine et son incontestable utilité. Soit qu’elle se borne à donner des conseils salutaires pour l’entretien de l’état normal, soit qu’elle s’efforce de le rétablir par les ressources dont elle dispose contre les causes diverses, qui peuvent l’altérer, son intervention est toujours secourable et bienfaisante. L’efficacité de cette intervention est à la vérité accordée par les uns, contestée ou niée par les autres. En cela, la médecine et la politique, qui intéressent de si près les individus et les sociétés (la liberté étant la santé de l’âme), diffèrent notablement. Si l’on est obligé de subir trop souvent la tyrannie des systèmes politiques, il en est tout autrement des systèmes de médecine. En médecine, la non-intervention du principe d’autorité a laissé de tout temps le champ libre aux discussions et aux attaques. Au demeurant, cet esprit d’hostilité et de censure, malgré toutes les formes données à ses attaques, a trouvé plus à reprendre dans la profession que dans l’art lui-même, bien que ce dernier n’ait pas toujours trouvé plus de grâce que l’artiste. Dès l’antiquité, les critiques se produisent, tantôt fines et railleuses, tantôt amères et brutales. Heraclite haïssait les médecins : il répétait volontiers qu’ils seraient les plus sots d’entre les hommes, si les grammairiens n’étaient là pour leur disputer la première place. Ce philosophe morose avait pourtant un système de médecine à son usage et certaines pratiques qui découlaient de ses théories sur la nature : il en usa si bien qu’il en mourut. Empédocle, jaloux du médecin Acron, qu’illustraient ses écrits et une longue expérience acquise dans ses voyages, se donnait pour un envoyé du ciel chargé d’exterminer les maladies et autres fléaux destructeurs ; il allait de ville en ville, traîné sur un char brillant, revêtu d’habits magnifiques, recevant comme un dieu les adorations