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et les sacrifices. On sait comment il mourut, victime de sa vanité ou de sa curiosité scientifique. Platon non plus ne ménage guère les médecins : il se moque volontiers de leur impuissance ; mais ce même Platon, qui s’est tant égayé aux dépens d’Esculape et de ses successeurs, avait aussi un système de médecine à lui, qu’il avait pris un peu partout, selon sa constante habitude. Que conclure de ces exemples ? Rien autre chose, si ce n’est que, dès l’origine, il y avait rivalité entre les philosophes et les médecins, et que les premiers étaient jaloux des seconds. Bordeu s’en est souvenu au XVIIIe siècle ; racontant qu’Hippocrate fut mandé auprès de Démocrite, que l’on croyait fou, il observe finement que, dans cette circonstance, ce fut la médecine qui jugea la philosophie, et il ajoute que les philosophes auraient tort de l’oublier.

Chez les Grecs, on se bornait aux épigrammes : il en était tout autrement chez les Romains. Les médecins arrivèrent à Rome assez tard, ils eurent bien de la peine à s’y introduire, et l’on ne tarda guère à les poursuivre et à les chasser. On connaît la haine du vieux Caton, qui, abusant de l’autorité paternelle, interdit les médecins à son fils. Le rude censeur faisait pourtant de la médecine à sa manière, il avait des secrets infaillibles et des panacées efficaces. Sa méthode était fort simple, et, maître absolu dans sa maison, il traitait indistinctement bêtes et gens, sans trop de discernement, il est vrai, mais avec beaucoup d’économie. C’est à Pline que nous devons ces particularités, et l’on sait que Pline n’est pas favorable aux médecins. Dans les épigrammes de Martial, pour ne rien dire des autres poètes latins et de certaines inscriptions bien connues, les médecins sont assez maltraités. Il faut convenir du reste que les satires, même sanglantes, n’étaient souvent que trop fondées et très légitimes. Lorsque la médecine grecque envahit Rome, la profession était libre, et longtemps après elle l’était encore ; elle se trouvait aux mains d’ignorans aventuriers. La réforme, introduite bien tard, ne fut jamais radicale, même sous la puissante influence exercée par les archiatres (médecins des princes), dont l’office et les attributions ne sont connus que très imparfaitement. Aux vieux abus s’en ajoutèrent de nouveaux. La profession, qui exige une entière indépendance, une grande dignité de caractère et toutes les qualités de l’homme libre, était aux mains des esclaves ou des affranchis des grandes maisons, avilie et dégradée par ces âmes vénales, instrumens dociles et trop souvent complices de la corruption, de la débauche, de l’immoralité ou du crime. La décadence avait tout envahi, et rien ne put échapper à l’universel abaissement.

Après les Barbares, la confusion est grande ; le lien est rompu en apparence, et les données manquent pour dire précisément quels