Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’église. Une lutte générale commença contre l’orthodoxie : Aristote et Galien furent traités comme le pape, et dès lors commença la querelle des anciens et des modernes, querelle si longue, presque interminable, et dont la fin marque définitivement le commencement d’une phase nouvelle pour la science et pour la civilisation. Les médecins s’étaient lancés dans la dispute et s’y étaient distingués par leur ardeur. Chez quelques-uns, elle fut excessive, et ceux qui avaient pris d’office la défense de l’antiquité oublièrent parfois la logique pour s’appuyer sur la force et le principe d’autorité, dont l’impuissance est manifeste, surtout dans les choses scientifiques. Les modernes devaient l’emporter ; mais le triomphe coûta cher, et l’art lui-même fut souvent compromis par les contradictions et les querelles scandaleuses qui faillirent amener le discrédit complet de la profession.

Comment la médecine traversa-t-elle cette pénible crise ? Elle finit assurément par se retrouver plus forte, mais au prix de luttes incessantes. À combien d’ennemis en effet n’avait-elle pas affaire ! Les charlatans d’abord. Cette engeance est immortelle : le monde pourrait manquer aux charlatans, non les charlatans au monde. De bonne heure ils se glissèrent dans la médecine, qui leur offrait un vaste champ d’exploitation et tant de facilités pour l’exercice de leur industrie ; ils s’y trouvèrent bien, s’y mirent à l’aise, prenant et gardant les bonnes places. Avec le droit de propriété, ils usurpèrent celui de succession, et, bien loin d’aliéner ce patrimoine, ils le transmirent fidèlement par héritage, sans que nul pût s’y opposer, car ils ne sortaient point de la légalité. Certes ils ont fait et continuent de faire beaucoup de mal, surtout à l’art qui les enrichit et qu’ils déshonorent. C’est par eux que les adversaires des médecins ont pénétré jusqu’à la médecine, ou l’ont du moins tenté, se vantant d’avoir trouvé son côté faible. Les prétentions dévergondées de ces médicastres, leur ton magistral, leurs grands airs ridicules, leur ignorance d’autant plus méprisable qu’elle prenait le masque du savoir, et par-dessus tout les résultats obtenus, contraires à leurs promesses et à l’espérance de leurs dupes, tout cela remua la bile ou excita la verve des satiriques. À vrai dire, le charlatanisme a peu souffert de ces aveugles attaques, particulièrement dirigées contre l’art et la profession médicale.

De Montaigne à Rousseau, pour ne remonter ni descendre au-delà, c’est un concert d’invectives et une suite de déclamations dont le bruit dure encore, bien que notablement affaibli. Ces variations infinies sur le même thème n’intéressent que l’érudition ; on peut donc les négliger sans inconvénient, d’autant qu’elles sont toutes résumées par les deux philosophes, le sceptique et le déclamateur.