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Nous avons d’ailleurs à examiner, avant de clore cette étude, les services que le fils de Kean a rendus ou voulu rendre à l’art dramatique non plus comme tragédien, mais comme directeur d’une entreprise importante. Ce fut en 1850 qu’associé à son camarade Keeley, il prit à bail, pour deux années, le Théâtre de la Princesse dans Oxford-Street. La grande exhibition se préparait, et tout annonçait pour l’année 1851 une prospérité théâtrale extraordinaire. Nous avions cru comprendre jusqu’à présent que ces prévisions dorées avaient été déçues, du moins en partie. On nous affirme aujourd’hui le contraire, et il paraît que les dix-neuf théâtres qui, cette année-là, fonctionnèrent à Londres n’étaient pas assez vastes pour la foule étrangère qui s’y précipitait chaque soir. Quant, aux Londoners, ils se tinrent à l’écart, rassasiés depuis longtemps des vieilleries qu’on servait aux nouveau-venus. Quoi qu’il en soit de ces assertions, — nous n’avons pas mission de les contrôler, — le Théâtre de la Princesse, plus ou moins prospère en 1851, passa, l’année suivante, sous la direction unique et absolue de Charles Kean. C’est à partir de ce moment qu’il est permis de scruter cette question délicate, dont l’ouvrage de M. Cole semble être le compte-rendu quasi officiel.

Or voici, tout compte fait, ce que nous y trouvons : pendant sept années consécutives, bon nombre de ces traductions déguisées [adaptations) qui transforment nos vaudevilles et même nos opéras-comiques[1] en farces anglaises, quelques comédies indigènes très clair-semées et très médiocres, pas mal de mélodrames traduits purement et simplement du français[2], le nombre, régulièrement voulu de ces sottes féeries qui sont, depuis un temps immémorial, l’infirmité périodique de la scène anglaise, et enfin, — nous touchons au point essentiel, — ces revivals, ces résurrections presque annuelles de quelque œuvre ancienne (tragédie ou comédie) qu’on exhume à l’aide de frais immenses, qu’on dérouille dans un bain d’or, et qu’on semble ne pouvoir faire belle qu’en la faisant énormément riche. Notre biographe, — et c’est son droit, — ne tarit pas dans son admiration pour ces somptueux revivals. Or quand il loue son héros d’avoir (dans les Merry wives of Windsor, par exemple) supprimé les ridicules interpolations lyriques qui défiguraient le texte de Shakspeare, nous abondons aisément en son sens ; mais lorsqu’il

  1. Marco Spada, la Rose de Péronne, etc.
  2. Les Frères corses, Pauline, le Courrier de Lyon (Lesurques) sont ceux qui ont fait de l’autre côté de l’eau la plus brillante fortune.