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n’y en a que 56,000 qui soient couverts de grands arbres ; plus de 50,000 hectares à peine revêtus de maigres broussailles et de vastes espaces complètement dénudés sont les tristes témoins des ravages déjà accomplis. Il en est de même dans toutes les régions des montagnes lombardes. Pour arrêter les progrès du déboisement et dans l’espoir de favoriser des plantations nouvelles, le gouvernement a ordonné aux communes de vendre la plus grande partie de leurs biens-fonds. Cette mesure a rencontré une vive résistance chez les habitans, et il est douteux qu’elle ait le résultat avantageux qu’on en espère ; il est même à craindre qu’elle ne porte atteinte aux conditions économiques qui garantissent maintenant la population des montagnes contre la misère.

Jadis chez les Germains et chez les anciens peuples italiques, comme nous le voyons encore maintenant dans les villages russes, la propriété privée ne s’étendait qu’aux meubles. La terre appartenait à la tribu ou à la commune ; pour les pâturages et les bois, la jouissance était en commun ; pour les terres mises en culture, chaque famille en avait une part qu’elle détenait pendant un temps plus ou moins long qui a varié chez chaque peuple. Ces antiques coutumes, propres, semble-t-il, à toute la race indo-germanique, ne se sont maintenues que dans l’Europe orientale ; mais dans les montagnes, où les traditions du passé se conservent longtemps, l’ancien fonds communal est toujours resté très étendu. Sur les 400,000 hectares de la province de Sondrio, récemment encore il n’y avait que 23,500 hectares qui fussent tombés dans le domaine privé. Les propriétés communales étaient, il est vrai, très mal administrées, sans doute par suite de l’ignorance et de l’imprévoyance générales, car en Suisse il en est tout autrement ; mais du moins le patrimoine commun qui permettait au plus pauvre de nourrir une vache et de se procurer un peu de bois avait eu cette utilité très réelle d’éloigner le paupérisme.

Les communes, qui, sous la pression de l’autorité centrale, ont fini par céder une partie de leurs biens, ont eu recours à divers modes d’aliénation : les unes ont vendu aux enchères, les autres ont distribué des parts égales entre tous les habitans, d’autres ont appliqué le contrat de livello, d’autres encore ont réparti les biens entre chaque famille moyennant une très légère redevance, et à la condition qu’à certaines époques ils fassent retour à la commune, qui alors les distribue de nouveau. Ce dernier moyen, appliqué avec intelligence et justice, nous paraîtrait le meilleur : d’une part, il favoriserait la production comme la propriété privée ; de l’autre, comme patrimoine commun, il empêcherait la misère de devenir un fait habituel et héréditaire.