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quelques grandes familles qui imposent à ceux avec qui elles traitent la condition de ne pas pressurer outre mesure leurs tenanciers. Malheureusement, il ne faut point se le dissimuler, il se prépare dans les contrats agraires un changement radical qui modifiera les anciens rapports dans un sens évidemment désavantageux pour ceux qui cultivent le sol. Le métayage réglé par la tradition et la coutume fait place à des clauses plus onéreuses, et les associations patriarcales disparaissent. Il se fait peu à peu une révolution qui, soumettant ce pays aux lois générales qui règlent la répartition des produits agricoles dans le nord du continent, préparera peut-être pour l’avenir des progrès nouveaux, mais qui, dans le présent, enlèvera certainement aux relations rurales leur caractère traditionnel, et aux cultivateurs leur sécurité, cette compensation si équitable d’une vie de privations et de labeur.

Il est un troisième point, plus délicat que les deux précédens, dont il conviendrait cependant de dire ici quelques mots : c’est l’influence que la condition des classes rurales en Lombardie peut exercer sur la pratique d’un régime représentatif et libre. Il est incontestable que la forme du gouvernement dépend en grande partie de la manière dont le sol est réparti entre les différentes classes de la société. Si des cultivateurs ignorans sont attachés à la glèbe, l’état sera gouverné despotiquement, et il n’y aura point de liberté. Si, par l’empire des lois ou de la coutume, la terre reste entre les mains d’un petit nombre de familles, la liberté pourra exister à la condition que les lumières se répandent ; mais le gouvernement sera plus ou moins aristocratique. Si au contraire le territoire est partagé entre un très grand nombre de petits propriétaires, il arrivera qu’ils voudront prendre part au gouvernement du pays, et l’état deviendra démocratique. Alors, pour que les citoyens interviennent utilement dans la gestion des affaires publiques, il faudra qu’ils aient un certain degré d’instruction acquise ou de bon sens naturel. Si l’on réunissait à un pays où les conditions sociales ont rendu possible la pratique de la liberté un territoire où ces conditions seraient très différentes, on aurait beau étendre aux deux populations les mêmes institutions et les mêmes droits : il serait à craindre qu’au lieu de fonder un état fort et libre, on ne produisît qu’anarchie et impuissance. Heureusement il n’en sera pas ainsi dans le cas de l’annexion de la Lombardie à la Sardaigne, car on rencontre dans le premier de ces deux pays, peut-être plus encore que dans le second, les principales conditions qui préparent les citoyens à intervenir utilement dans le gouvernement : la diffusion des lumières, i’aisance, le bon sens naturel ; c’est un point que quelques faits suffiront à prouver.