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saisit bien plus que ce qui est mauvais et pesant ne les rebute ou ne les effraie, et quelles que soient les épreuves qu’elles subissent, elles ont des trésors de tendresse, de générosité et de patience pour qui les aime et les glorifie en les aimant. M. de Chateaubriand ne s’est pas présenté, à coup sûr, dans les Mémoires d’Outre-Tombe, sous les traits les moins favorables ; il a employé toutes les ressources de son talent à se grandir en se peignant, et lors même qu’il raconte ses erreurs, ses fautes, ses égoïstes tristesses, ses humeurs, les mauvais côtés de son caractère et de son âme, on sent fumer dans ses paroles l’encens que brûle en son propre honneur un insatiable orgueil. Pourtant il ne réussit point à se faire tant admirer qu’on lui pardonne tout ; l’impression qui reste de lui, après la lecture de ses Mémoires, dans les esprits clairvoyans et libres lui est très contraire, et pour me servir des expressions les plus douces, nulle sympathie ne s’unit et une juste improbation se mêle à l’admiration qu’inspirent l’élévation de sa nature et l’éclatante originalité de son talent. Il en est autrement après la lecture des Souvenirs de madame Récamier : non que le Chateaubriand des Mémoires d’Outre-Tombe, l’égoïste exigeant, vaniteux, fantasque, ennuyé, amer jusqu’à la haine, ne s’y retrouve souvent, surtout à certaines époques de leurs relations, pendant l’ambassade de M. de Chateaubriand à Londres, le congrès de Vérone et son ministère des affaires étrangères ; mais un autre homme, meilleur et plus aimable, y apparaît, un homme capable de tendresse, de respect, de constance, même de modestie et de dévouement dans l’affection souveraine qui remplit sa vie et envers la personne dont il ne saurait se passer. À mesure qu’on avance dans les Souvenirs, la figure de M. de Chateaubriand se rassérène et s’épure ; naturellement grande et noble, elle devient plus douce et plus affectueuse ; les petites passions s’éloignent, un sentiment vrai se déploie. En 1840, il écrit d’une main tremblante à Mme Récamier : « Vous êtes partie, je ne sais plus que faire. Paris est le désert, moins sa beauté. Où vous manquez, tout manque, résolution et projets. Le vieux chat ne peut plus jeter sa griffe, qui se retire. Je rentre en moi ; mon écriture diminue ; mes idées s’effacent ; il ne m’en reste plus qu’une, c’est vous. Mes sentimens ne sont pas diminués comme mon écriture ; ils sont plus fermes que ma main. Où avez-vous pris que je me plaignais de votre silence ? Je n’ai pas dit un mot de cela. Je suis le plus soumis, le plus dompté de tous ceux qui vous aiment. » Il est impossible de ne pas être touché de ce qui vibre encore dans le cœur de cet illustre vieillard, et de ne pas lui rendre la justice que bien des mauvais démons en sont sortis.

C’est que Mme Récamier avait en général avec ses amis et eut