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— Il n’en faut que trois, répondis-je, je serai le quatrième.

— Allons donc ! est-ce que vous savez porter ? me demanda Love avec un étonnement qui me fit l’effet d’une ironie atroce.

— Je croyais savoir ! lui répondis-je d’un ton de reproche.

— Vous savez porter les blessés sur vos bras, je ne peux pas en douter sans ingratitude ; mais porter en promenade, c’est autre chose, ce n’est pas l’affaire d’un quart d’heure, et c’est trop fatigant.

— Eh bien ! je chercherai un homme plus fort, plus adroit et plus dévoué, répondis-je avec amertume.

— Vous voyez comme il est susceptible ! dit Love à son frère et à son père ; on ne peut pas lui parler comme à un autre guide.

— Il a de l’amour-propre, c’est son droit, répondit Hope toujours en anglais. C’est un guide excellent et un très honnête homme, je vous en réponds.

— Vraiment ? je croyais que vous ne pouviez pas le souffrir, celui-là ?

— Pardon ! j’ai changé de sentiment. Il me convient tout à fait.

— Eh bien ! qu’il porte ou ne porte pas, il viendra avec nous, dit M. Butler, et il me donna ses ordres pour le lendemain, en me laissant le soin de tout faire pour le mieux. — Allez tout de suite, ajouta-t-il. Vous reviendrez ici. Si nous avons besoin de quelque chose, nous appellerons Marguerite.

Je fis vite la commission. Quand je revins, je trouvai M. Butler seul avec sa fille, fort préoccupé, me regardant fixement et me répondant tout à contre-sens. Je fus saisi d’une grande frayeur. Sans doute on avait interrogé Marguerite sur mon compte, et comme j’avais négligé de la mettre dans mes intérêts, elle avait dû dire qu’elle ne m’avait jamais vu au Mont-Dore, ou qu’il y avait si longtemps qu’elle ne s’en souvenait plus ; mais mon malaise fut dissipé par le prompt retour du sans-façon paternel de M. Butler.

— Nous n’avons pas encore fixé le but de la promenade et l’heure du départ, me dit-il. Asseyez-vous par là, Jacques, dans le salon ; ma fille vient de me dire que vous étiez minéralogiste. Si je l’avais su plus tôt, cela m’eût fait plaisir, car elle dit que vous en savez plus long que les guides ordinaires, et votre modestie, chose encore plus rare chez vos confrères, m’a empêché de vous apprécier. Je vous demande maintenant de mettre vos connaissances à notre service. Voici ce que je veux faire. Un de mes amis m’a demandé une petite collection des roches de l’Auvergne, et je veux lui envoyer cela en Angleterre. Nous avons là toute la minéralogie des monts Dore. Ayez l’obligeance de tailler les spécimens de manière à ce qu’ils tiennent dans les compartimens de cette boîte. Ma fille pense que