Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous pourrez bien les classer par époques géologiques. D’ailleurs, si vous êtes embarrassé, nous sommes là pour vous aider.

J’obéis, et, en sortant de la chambre, je regardai Love attentivement. Il me sembla qu’elle avait pleuré. Dans tous les cas, elle avait eu avec son père une explication, car elle était fort animée, et, tout en cassant et rangeant mes minéraux, je les entendis reprendre un entretien assez suivi ; mais le bruit que j’étais forcé de faire et le soin qu’ils avaient de parler à voix basse m’empêchèrent de rien saisir. Pourquoi ne parlaient-ils pas tout haut devant moi comme à l’ordinaire ? devinaient-ils que je les comprenais ? Il est vrai que Hope, travaillant dans sa chambre, n’était séparé d’eux que par une cloison, et ce pouvait être à cause de lui qu’ils prenaient cette précaution. Je n’en étais pas moins fort inquiet. Cette conférence, en quelque sorte secrète, n’était-elle pas le résultat nécessaire de celle qui avait eu lieu la veille à la Roche-Vendeix entre M. Butler et son fils ? M. Butler n’avait-il pas déclaré qu’il interrogerait sa fille, et que, si elle avait persisté dans son affection pour Jean de La Roche, il s’efforcerait de renouer ce mariage, devenu possible par les nouvelles que j’avais données ?

J’avais donc amené l’explosion de ma destinée en faisant savoir à Love et à son père que je n’étais ni mort ni marié, et je ne devais pas m’étonner que dès lors la leur fût remise en question. J’assistais à l’élaboration de ma sentence. Hope, jaloux de sa sœur, avait affirmé qu’elle me regrettait : il pouvait s’être trompé, comme se trompent toujours ceux qui sont jaloux par besoin de l’être ; mais M. Butler voulait savoir à quoi s’en tenir, et Love subissait un interrogatoire, tendre sans doute, mais décisif. Je croyais pouvoir en être certain, aux intonations à la fois solennelles et dubitatives de la voix de M. Butler, lorsqu’elle s’élevait un peu ; cependant Love répondait si bas que je ne pouvais rien deviner, en dépit des intervalles que je ménageais dans l’exercice de mon marteau.

Au bout d’une demi-heure de ce supplice, je vis M. Butler se lever, embrasser sa fille et passer dans la chambre de Hope, probablement pour lui rendre compte de ce qu’il venait d’apprendre. Je restais seul avec Love. Je n’y pus tenir. Décidé à savoir mon sort, j’entrai dans sa chambre ; mais son sourire de bienveillance protectrice me troubla. Si elle jouait un rôle, elle le jouait bien. — Que voulez-vous, Jacques ? me dit-elle du ton dont elle aurait dit aux vaches de la montagne : Je n’ai pas de sel à vous donner, mes pauvres bêtes !

Je la consultai sur le classement des minéraux dans la boîte, et, comme je lui présentais à tout hasard un échantillon, elle le regarda avec la loupe. — Voilà un admirable morceau, me dit-elle.