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Canton ne tarderait pas à s’arranger, et qu’il ne serait plus importuné d’un si infime détail. La prise de Canton n’eut pas même le pouvoir de l’arracher à ses incroyables illusions.

Lorsque les alliés se furent rendus maîtres de la ville (28 décembre 1857), les ambassadeurs songèrent à entamer les négociations et à se mettre directement en communication avec le cabinet de Pékin. C’est ici que commence réellement la campagne diplomatique. Lord Elgin et le baron Gros résolurent d’adresser au premier ministre une note développée, pour indiquer le but de leur mission et proposer les principales clauses des traités qu’ils désiraient conclure. Ces clauses intéressant non-seulement l’Angleterre et la France, mais encore les autres nations qui entretiennent des rapports avec la Chine, ils jugèrent qu’il serait à la fois convenable et utile de faire appel au concours des représentans de la Russie et des États-Unis, qui venaient d’arriver, munis comme eux de pleins pouvoirs. La correspondance échangée pendant le cours des négociations entre lord Elgin et les diplomates russe et américain expose sous son vrai jour la politique adoptée par les cabinets de Saint-Pétersbourg et de Washington, politique qui, à première vue, avait semblé assez équivoque. On se figurait volontiers que la Russie triomphait secrètement des embarras de la France et de l’Angleterre, qu’elle appuyait le gouvernement chinois dans sa résistance, et que son représentant, le comte Poutiatine, n’était venu là que pour observer et gêner à l’occasion les manœuvres des alliés. Quant aux Américains on jugeait qu’ils étaient avant tout désireux de profiter de la circonstance pour accaparer les bénéfices du commerce au lieu et place de leurs rivaux les Anglais ; on les voyait comme à l’affût d’une bonne spéculation, et la présence de leur ministre, M. Reed, paraissait annoncer qu’ils entendaient bien, si les alliés obtenaient un traité, se présenter à leur suite, et recueillir à peu de frais les avantages de la campagne. Or ces suppositions étaient peu exactes. Sans aller jusqu’à déclarer la guerre à la Chine, la Russie et les États-Unis avaient, comme la France et l’Angleterre, certains comptes à régler avec cet étrange pays, et leurs vœux, inspirés par le sentiment de leur intérêt, étaient acquis très sincèrement à la cause des puissances alliées. Après avoir sollicité de Kiahkta, sur la frontière de Sibérie, son admission à Pékin et attendu vainement une réponse, le comte Poutiatine avait traversé toute l’Asie du nord et s’était présenté par mer à l’embouchure du Pei-ho. Là, il avait pu, non sans difficulté, expédier une nouvelle demande à Pékin ; mais, comme on avait assigné un délai de quinze jours pour la réponse et que les mandarins ne voulaient pas lui permettre de s’établir à terre, il était allé gîter à Shang-haï. Lors de son retour au Pei-ho, il apprit