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que des royaumes, il faut que l’empereur et ses ministres soient assurés d’une obéissance passive, et qu’ils comptent sur l’exécution immédiate de l’ordre une fois donné : les observations, les objections, les conseils même sont mal accueillis et taxés de révolte. Mais alors qu’arrive-t-il ? C’est que les fonctionnaires, moins peut-être par adulation que par crainte, envoient dans les momens critiques des rapports incomplets ou inexacts, dissimulent les petites difficultés, amoindrissent ou dénaturent les difficultés sérieuses, se décernent des triomphes diplomatiques et militaires imaginés pour l’entière satisfaction de leur cour, enfin saturent leurs dépêches de toutes les exagérations, de tous les mensonges que peut contenir un récit officiel. Telle est la conséquence de cet excès de responsabilité qui accable les mandarins, et l’on est ainsi amené à comprendre l’origine de la plupart des conflits qui depuis vingt ans ont éclaté entre le Céleste-Empire et les gouvernemens européens. La politique traditionnelle de Pékin commande, sinon d’exclure complètement les étrangers, du moins de les tenir à distance. Les mandarins s’y conforment le mieux qu’ils peuvent, et quand ils se voient débordés, ils n’ont garde de dénoncer leur faiblesse. Trompé par leurs rapports et conservant ses illusions, le cabinet impérial s’obstine dans le vieux système ; il repousse toute idée de concession aux exigences étrangères, et il ordonne la lutte. Les affaires s’agitent donc dans une sorte de cercle vicieux où s’accumulent les malentendus et les embarras. C’est ce qui s’est passé à Canton. Le vice-roi se faisait fort de dominer les barbares ; en présence des disgrâces infligées à ses prédécesseurs, cette prétention était de sa part une tactique d’intérêt personnel. Il avait rendu compte à Pékin des dernière événemens, mais en les réduisant à des proportions assez modestes. La cour lui répondit qu’il devait repousser les Anglais, et il essaya d’obéir aux ordres que ses propres rapports avaient inspirés.

Il était nécessaire d’insister sur ces détails intérieurs d’administration chinoise pour expliquer comment le cabinet de Pékin pouvait à la rigueur, sans manquer de logique, laisser les ports du nord ouverts au commerce pendant que la lutte s’envenimait à Canton entre les ambassadeurs étrangers et le vice-roi. À ses yeux, les incidens de Canton, dont il ne lui était guère permis d’apprécier à distance les proportions exactes ; paraissaient absolument semblables aux démêlés qui, à diverses époques, s’étaient produits dans cette ville et avaient eu des dénoûmens pacifiques. D’après les forfanteries de Yeh, qui, dans l’une de ses dépêches, représentait lord Elgin comme un échappé du Bengale, sauvé miraculeusement par les Français, puis se morfondant et poussant de longs soupirs sur la plage de Hong-kong, l’empereur devait supposer que l’affaire de