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force l’hospitalité la plus convenable. Mon choix tomba sur une hutte plus grande que les autres, et dont le toit de feuilles s’appuyait extérieurement sur les pieux d’une vérandah. Elle appartenait, me dit-on, au señor Hasselbrinck, consul de Prusse, le seul résident étranger de Savanilla. À peine débarqué sur l’une des petites jetées en bois construites devant le village, j’indiquai la maison du consul au nègre qui se chargea de mes effets, et je le suivis sans m’arrêter devant le poste des. douaniers, qui sans doute sommeillaient dans leurs hamacs. Sur la plage se promenait un beau vieillard, qu’à ses traits tudesques je reconnus aussitôt pour le consul. Je me dirigeai sans embarras vers sa maison, où j’entrai résolument, et je reçus bientôt au seuil même de sa porte le propriétaire ébahi, que je suppliai dans sa langue maternelle de vouloir bien excuser mon audace. Ces quelques mots allemands suffirent pour dérider l’excellent homme, qui, me prenant les deux mains à la fois, me souhaita cordialement la bien-venue : Mi casa es à la disposition de Vmd. Pendant toute la soirée, il m’accabla de prévenances, me donna gracieusement tous les renseignemens que je lui demandais, me fit en retour de nombreuses questions sur l’Europe, qu’il avait quittée depuis l’an de grâce 1829. Quand vint l’heure du repos, il fit établir nos deux plians à côté l’un de l’autre, afin de pouvoir prolonger la conversation. Le lendemain matin, il s’occupa lui-même de me procurer une embarcation pour Barranquilla, et je partis avec une lettre d’introduction pour son fils, agent de la compagnie anglaise des bateaux à vapeur du Rio-Magdalena.

Le village de Savanilla ne doit son existence qu’au voisinage de l’embouchure principale du fleuve, avec laquelle son port communique par les marécages du delta. La barre n’ayant guère plus d’un mètre de profondeur, toutes les denrées des provinces riveraines, le tabac, l’écorce de quinquina, le café, doivent être déposées en amont de l’embouchure dans les magasins de Barranquilla, et de là être péniblement transportées par d’étroits canaux jusqu’au port de Savanilla, où on les recharge abord de navires calant moins de 4 mètres d’eau. Quand la république néo-grenadine, devenue plus riche et plus entreprenante, s’occupera de l’amélioration de ce port, elle aura de très grands travaux à faire exécuter, car les sables d’une bouche du Magdalena, appelée Boca-Culebra ou Bouche-Serpent, s’accumulent à l’entrée, et, sous l’impulsion des vents alizés et des vagues, avancent continuellement du côté de l’ouest. En attendant, il serait relativement facile de construire un chemin de fer entre Barranquilla et son port, ou, mieux encore, d’utiliser les bouches marécageuses du fleuve en y creusant un canal assez profond pour permettre aux plus grands bateaux à vapeur du Haut-Magdalena