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reprochent, non de trop aimer, mais de ne pas aimer davantage ; ils s’indignent de guérir, et se méprisent en proportion de la santé qui leur est revenue.

Les descriptions de la nature font un parfait et aimable contraste avec ces sentimens douloureux : dans l’âme, tout est deuil ; au dehors, tout est fête. Les paysages sont la partie tout à fait excellente de ces livres ; ils ne servent pas seulement de cadre aux simples histoires que raconte l’auteur, ils ne lui servent pas seulement de temple et de sanctuaire, ils remplissent encore en quelque sorte le rôle du chœur antique ; ils encouragent, ils exhortent, ils consolent et amusent. Ce ne sont point des paysages multicolores, ils ont la teinte uniforme des lieux où écrit l’auteur, des montagnes et des bois. Le vert y domine sur toutes les autres couleurs. Quels que soient les objets que décrit Mme de Gasparini ses descriptions laissent toujours dans l’imagination du lecteur l’idée de cette noble couleur. Ceux qui connaissent les mystérieux rapports qui existent entre les choses matérielles et les choses intellectuelles, ceux qui comprennent le langage magique que parlent les choses d’ici-bas ne s’en étonneront pas, et ici je demande la permission de glisser une opinion qui pourra paraître à plusieurs une opinion de fantaisie, en demandant pardon d’avance pour sa bizarrerie. Le vert est essentiellement la couleur protestante, comme le bleu est la couleur catholique[1]. Le vert est le symbole à la fois austère et charmant de l’indomptable espérance et du bonheur sérieux, comme le bleu est la couleur de la candeur confiante et du bonheur instinctif. Ce n’est que tard dans la vie, sur le soir de la jeunesse, que nous sentons la consolante beauté de la couleur verte. L’adolescent ne la comprend pas, et son regard se porte de préférence vers les lointains horizons bleus pour y découvrir les étoiles d’or ; mais plus tard, quand les brouillards et les brumes commencent à fermer les horizons, que les lointains deviennent pâles, alors les yeux fatigués, endoloris d’avoir trop cherché la lumière, aiment à se reposer sur cette belle couleur, grave et souriante, qui, dans son langage expressif, vous conseille l’égalité d’âme, la sérénité et l’espérance. La poésie qu’elle exprime n’a pas de splendeurs infinies, mais elle n’a pas non plus de résignation trop humble. Ce n’est pas la couleur des hôtes célestes ni celle de ces êtres qui sont tout près du ciel, mais celle des pèlerins de la terre, déjà éprouvés par la vie.

  1. Le vert n’est pas la seule couleur du protestantisme, ni le bleu la seule couleur du catholicisme. Ce sont là les couleurs de leurs belles vertus ; mais leurs vices aussi ont leurs couleurs symboliques. Le protestantisme a le gris, symbole de pédantisme, d’ennui, de froideur glaciale, et le catholicisme a le noir, emblème d’hypocrisie, de violence sourde et sinistre, de méchanceté gratuite.