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Les titres des deux livres sont très bien trouvés, et expriment excellemment la pensée de l’auteur : les Horizons prochains, les Horizons célestes. Les horizons prochains ! vous savez, c’est tout ce qui trompe, tout ce qui fuit et échappe, les espérances brisées, les coups de vent soudains, la maladie, la mort. Pour peu que vous ayez vécu à la campagne, vous l’avez éprouvée mille fois, cette déception des horizons prochains. Là-bas, devant vous, tout près de vous, quel charmant paysage s’étend sur cette extrême ligne bleue que votre regard ne peut dépasser ! C’est sans doute un pays féerique ; tout y est étincelant de pourpre et d’or. Une longue traînée de lumière transfigure tous les objets. Les arbres ont des formes sveltes qui font songer aux palmiers d’Orient, les nuages semblent toucher le sol ; c’est sans doute le point où la terre se réunit au ciel. Et ces êtres mystérieux qui passent, quel but les agite, et quel voyage mystique sont-ils en train d’accomplir ? Vous marchez, vous marchez ; mais, hélas ! l’horizon recule devant vous. Cette région enchantée, c’est le vieux guéret stérile bien connu, c’est la vieille bruyère solitaire où si souvent vous avez rêvé ; l’arbre d’Orient n’est qu’un châtaignier vulgaire, et vos voyageurs mystérieux se révèlent sous les formes très prosaïques de trois ou quatre individus à mine suspecte. Les Horizons célestes au contraire, c’est tout ce qui reste et qui dure, les promesses éternelles, les permanentes espérances, les assurances certaines. Deux pensées remplissent ce dernier livre, la pensée de la mort et la pensée de la vie future. L’homme traîne sa vie d’espérance en espérance, vaincus, blessés, nous marchons encore et refusons de nous croire brisés ; mais la mort met irréparablement fin à cette série de déceptions que nous aimons à nommer du beau nom d’espérances. Le sage stoïcien voit dans la mort un bienfait, puisqu’elle est la fin de tous les maux ; mais l’humanité, qui n’est composée ni de sages, ni de stoïciens, la regarde comme la suprême malédiction qui pèse sur elle. La mort assombrit chaque jour la pensée des vivans ; cependant la première heure d’étonnement et d’effroi passée, le cœur se sent rempli d’une force invincible et se prend à espérer même contre la destruction, même contre le néant. Est-il possible que nous ne retrouvions jamais les chers êtres que nous avons aimés ? Est-il possible que notre douleur soit payée d’ingratitude, que les lois implacables d’un ordre aveugle et tout-puissant récompensent par l’oubli nos vaines souffrances ? Est-il possible que, tandis que nous sentons en nous notre douleur vivante, l’objet qui la cause ne soit que néant ? Non, l’âme proteste. Sa force lui est un témoignage de son immortalité ; elle ne se sent lasse ni d’aimer, ni de souffrir ; pourquoi donc accepterait-elle cette récompense du néant qu’elle ne sollicite pas ? Que le corps fatigué accepte, s’il le