Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à compulser de vieilles histoires de Chester ; aujourd’hui j’ai de mauvais yeux, et cette promenade est mon livre. J’y retrouve écrits en caractères visibles les heureux changemens que le temps a introduits dans les institutions humaines. Cette vieille tour que vous voyez là-bas est le Water Tower, une ancienne forteresse élevée pour repousser les ennemis maritimes, car à cette époque-là un bras de la rivière se répandait sous cette partie des murs, et les vaisseaux pouvaient voguer jusqu’au pied de la tour. Aujourd’hui il n’y a plus d’ennemis et il n’y a plus d’eau. Dieu merci, notre siècle n’a plus besoin de ces ouvrages militaires qui retracent à la pensée des scènes de carnage. Cette autre tour carrée, à laquelle on a donné le nom de Bonwaldeslhorne’s Tower, et qui se dresse couleur de sang sous son manteau de lierre, est maintenant le muséum d’une institution ouvrière, Mechanic’s Institution. Le contraste entre la destination meurtrière de cet édifice et l’usage qu’on en fait dans les temps modernes oppose victorieusement les mœurs douces et pratiques de notre âge au sombre génie du XIIIe siècle. Voici encore la tour du Phénix, Phœnix Tower : c’est du haut de cette ruine que le roi Charles Ier vit, le 24 septembre 1645, la défaite de son armée, battue par les troupes du parlement dans les plaines de Bowton Moore. Je ne suis qu’un pauvre homme, et j’ai de la peine à gagner ma vie ; mais quand je regarde avec un cœur léger le joyeux paysage qui nous entoure, et quand je songe aux pénibles impressions qui devaient assombrir aux yeux du monarque les mêmes beautés de la nature, je remercie le ciel de ne point m’avoir fait naître roi dans ces temps douloureux. Dire que tant de calme succède maintenant à tant de ravages ! Les élémens destructeurs ont eux-mêmes abandonné la place aux arts utiles et aux divertissemens de l’homme. Cette belle prairie qui ondoie à perte de vue, et où paissent bravement dans l’herbe des vaches et des bœufs, se nomme le Roodeye. Autrefois c’était une mer ; c’est à présent une arène pour les exercices gymnastiques, les parties de cricket[1] et les courses de chevaux.

« Il faut pourtant être juste, continua le vieil antiquaire : il faut reconnaître que si les environs de la ville ont beaucoup gagné au point de vue de l’agriculture, la ville elle-même a perdu sous le rapport du commerce. Il y eut un temps où Chester était un port, florissant ; mais, hélas ! les rivières changent, et par suite des inconstances de la Dee la navigation s’est éloignée. Liverpool a recueilli cette riche moisson. La Dee s’en console, comme vous voyez, en gardant sa ceinture de charmans cottages et de villas, ses vieux ponts romantiques, sa fraîche et ombreuse promenade

  1. Sorte de jeu de balle ou de paume très répandu en Angleterre.