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des groves (bosquets), ses bateaux de plaisir, pleasure boats, et surtout ses moulins, qui remontent à une haute antiquité. Elle a d’ailleurs eu l’honneur d’être célébrée par les poètes Drayton, Browne, Spenser et Milton, qui lui ont donné les épithètes de divine, d’enchanteresse, wizard.

« Je savais bien qu’il devait m’arriver aujourd’hui quelque chose d’heureux, car ma femme a jeté derrière moi, au moment où je sortais, un vieux soulier[1]. Vous ne sauriez croire en effet le plaisir que j’éprouve à parler de l’histoire de Chester avec quelqu’un qui s’y intéresse. Étant une très ancienne cité, ma ville natale a beaucoup retenu des coutumes et des traditions du passé ; elle est riche en chroniques. Dans l’endroit où nous sommes maintenant (Newgate), il y avait anciennement une vieille poterne connue sous le nom de Wolf’s gate ou de Pepper gate (la porte du loup ou du poivre). Au XVIe siècle, le maire de Chester avait une fille qui jouait à la balle dans Pepper-Street avec d’autres jeunes filles. Un jour elle fut enlevée par son amant, et le père, trop tard avisé, fit fermer la porte de la ville par laquelle l’évasion avait eu lieu. De là un proverbe qui n’existait qu’à Chester : « Quand la fille est enlevée, fermez la poterne. »

« Autrefois les habitans de Chester se distinguaient par un goût très vif pour les "représentations dramatiques. On peut même dire que notre ville a été le berceau du théâtre anglais[2]. Une autre source d’amusemens qui attirait beaucoup d’étrangers était la foire. La coutume voulait que durant cette foire on suspendît un gant à l’hôtel de ville, et plus tard au toit de l’église Saint-Pierre. Pour comprendre la signification de cet emblème, il faut savoir que Chester

  1. La coutume de jeter un soulier à une personne pour lui porter bonheur est commune à toute l’Angleterre, mais elle se conserve surtout à Chester et dans les comtés du nord. Un marchand de bestiaux qui allait à Norwich pour acheter un billet de loterie avait recommandé à sa femme de lui jeter son soulier gauche. Au moment où il sortait de chez lui, il se retourna pour voir si sa femme accomplissait le charme, et reçut le soulier en plein visage. Il partit l’œil noir, mais le cœur rempli de confiance. Quelques jours après, il gagna un lot de 600 livres sterling. Est-il besoin de dire qu’il attribua toute sa vie cette bonne fortune à la force du talisman ?
  2. Dès le commencement du XIVe siècle, un moine de Chester, Randal Higden, mit en scène des personnages tirés de l’Écriture sainte. Ces pièces de théâtre se jouaient une fois par an, le lundis le mardi et le jeudi de la Pentecôte ; aussi les appelait-on Whitsun plays. Le théâtre avait un caractère primitif et vraiment thespien : c’était un chariot à quatre roues, qu’on promenait dans la ville. Il s’arrêtait d’abord devant la porte de l’abbaye pour le plaisir des moines, ensuite à High-Cross devant le maire et les aldermen, enfin il stationnait de rue en rue jusqu’à ce que la représentation fût terminée. De tels spectacles, moitié sacrés, moitié profanes, empreints surtout d’un caractère burlesque, attiraient de tous les environs une foule immense. Ces grossiers essais de l’art dramatique eurent du moins l’honneur de vivre pendant près de deux cent cinquante ans, — de 1328 à 1574. L’autorité les supprima.