Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/776

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme celles qu’on se représente dans les cavernes de brigands. De temps en temps aussi, le silence habituel de ces voûtes est violemment troublé par des explosions qui retentissent avec un bruit de tonnerre : c’est la poudre qui disloque en éclatant les membres de la roche. Vous marchez à travers un monceau de ruines ; le chemin inégal est jonché de gigantesques débris de cristaux qui affectent surtout la couleur jaune ou rougeâtre, quoiqu’il y en ait de blancs et de diaphanes comme la glace. À la vue de ces blocs arrachés, de ces richesses minérales qui semblent renaître sous la pioche ou sous les traînées de poudre à canon, tant la masse est inépuisable, il est permis de croire à une sage prévoyance de la nature. L’homme aime à se figurer que c’est pour lui et en vue de ses besoins qu’ont été engloutis dans le sein de la terre ces immenses magasins de sel, ouvrages des mers évanouies, qui ont travaillé pour lui et bâti ces roches à une époque infiniment reculée, où nulle des formes animales qui vivent maintenant à la surface des îles britanniques n’était encore sortie du moule de la création. Si, en faisant leur œuvre, les élémens d’alors ne pensaient point aux sociétés humaines, quelqu’un doit y avoir pensé pour eux.

Les mines de sel ont leurs jours de fête. À Noël et à la Pentecôte, on allume jusqu’à six cents chandelles ; je laisse à penser l’effet que produit alors dans ce palais de cristal souterrain la réflexion de ces lumières sur tant de surfaces brillantes. Des bandes de musiciens jouent des airs appropriés à la circonstance. On goûte, quelquefois même on danse ; les femmes de mineurs remplacent ce jour-là les divinités un peu grossières dont les anciens aimaient à peupler les grottes profondes. Durant tout le reste de l’année au contraire, les mines de sel ont le caractère sérieux qui convient au travail et à la nuit. Mon guide connaissait ce souterrain aussi bien que sa chambre. Pour moi, chaque pilier semblait devoir être le dernier, car les rayons de la lumière que je portais à la main ne s’étendaient point au-delà ; mais il était suivi d’un autre, puis d’un autre, et entre ces points d’appui se prolongeaient de larges voûtes qui semblaient suspendues sur le vide. Dans les intervalles, le regard se perdait au milieu d’une obscurité sans fin, où tout avait l’immobilité du sépulcre. Enfin nous arrivâmes au bout de la mine. Un groupe d’ouvriers travaillait à extraire des blocs de sel qui s’amoncelaient et s’élevaient presque jusqu’au plafond. Parmi ces ouvriers, quelques-uns accomplissaient une tâche pénible ; la tête pliée sous la voûte comme des cariatides antiques, ils arrachaient durement dans l’épaisseur du mur de larges morceaux de cristal ou perçaient la veine qui, remplie avec de la poudre à canon et bourrée, faisait sauter les quartiers de roche. Le personnel et les moyens de transport varient selon