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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/83

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les siècles antérieurs. Le surnaturel perd son cachet spécial pour ceux qui se croient toujours et partout sous son empire. Le miracle exige, pour être compris comme miracle, que l’on connaisse bien ce qui n’est pas miraculeux. Devant le flambeau des sciences naturelles, il semblait donc que Dieu se retirât dans un lointain toujours plus inaccessible. Toute loi nouvelle constatée, tout fait merveilleux expliqué paraissait une conquête de l’homme sur le domaine divin, et ainsi la contradiction posée d’avance entre la foi et la science s’aggravait tous les jours des progrès de celle-ci.

On aperçoit tout d’abord qu’une telle conception des rapports de Dieu et du monde excluait la possibilité de toute recherche sérieusement scientifique appliquée aux religions. En revanche, dès que le monde et Dieu ne sont plus, comme le déisme se les représentait, opposés l’un à l’autre et se limitant mutuellement, du moment qu’ils sont dans un état de pénétration mutuelle et en quelque sorte de parallélisme continu, le problème religieux change de face. Et voilà précisément le point de vue prédominant de la pensée moderne. La révolution opérée dans les esprits se manifeste clairement dans ce fait, qu’aujourd’hui l’écueil de la pensée religieuse est le panthéisme, et non plus le déisme comme autrefois. Le monde, tel qu’il nous apparaît dans ses deux grandes divisions de la matière et de l’esprit, se développe parallèlement à la pensée absolue, dont il est l’épanouissement dans l’espace et dans le temps. Il est cette pensée exprimée, rendue sensible ; il est la parole, ou, pour parler plus précisément, la vibration de la parole infinie. Voilà la pensée philosophique dont on retrouve les traces dans toutes les sciences, et vers laquelle le XVIIIe siècle marchait sans le savoir. Quel est le but de toute science ? Déterminer les lois qui régissent les phénomènes. Le XVIIIe siècle avait cru pouvoir se passer de Dieu, comme d’une hypothèse inutile, en substituant à son action immédiate, telle que la comprenaient les siècles de foi enfantine, celle de la loi abstraite. Croyans et incrédules étaient d’accord pour distinguer radicalement la loi naturelle de l’action de Dieu sur le monde. Ils ne voyaient pas qu’une loi quelconque, se révélant constamment et infailliblement dans un certain genre de phénomènes, pliant à son autorité tout ce qui rentre dans sa sphère d’action, cause intérieure, immédiate, positive, des choses qu’elle détermine, est tout autre chose qu’une abstraction. En réalité, c’est elle qui existe la première, puisque les choses déterminées n’existent que par elle. C’est elle qui est positive, puisque les choses que nous constatons dans le monde et en nous-mêmes lui doivent la forme sans laquelle nous ne pourrions ni les sentir, ni nous les représenter. Or, si la loi est quelque chose, et non pas seulement une abstraction de notre