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la rareté des routes praticables, la nécessité de faire venir des vivres à grands frais des autres provinces, rendent les conditions de l’existence si difficiles que la population ouvrière ne peut pas se développer. C’est cependant sur ce point que les capitalistes ont déployé le plus d’intelligence et d’énergie productive ; ils suivent très attentivement les progrès de la science ou de l’industrie applicables à leurs spécialités, et on verra plus loin que leurs efforts n’ont pas été sans succès.

La région agricole présente une superficie évaluée à 12 millions d’hectares ; mais en raison des aspérités de terrains on réduit à 8 millions d’hectares l’étendue des terres favorables à la culture. On compterait peut-être dans cette partie centrale 20,000 fonds, mais de dimensions très inégales. Autour des domaines immenses, patrimoines des anciennes familles, se trouvent de petits champs exploités par des propriétaires de fraîche date, avec leurs femmes et leurs enfans pour auxiliaires : c’est la classe moyenne qui surgit, fait nouveau et considérable. Un indice pour évaluer le nombre des familles riches me paraît être fourni par celui des mayordomos ou intendans, qui dépasse 4,000.

L’agriculture chilienne est en voie de transformation, et ses progrès depuis dix ans sont remarquables. Les besoins d’alimens créés en Californie et en Australie par l’affluence des chercheurs d’or, gent assez vorace de sa nature, ont été un encouragement puissant ; les productions ordinaires du pays, le blé, le seigle, l’orge, le maïs, les haricots, et surtout le bétail qu’on élève sur une grande échelle, ont donné pendant quelque temps des résultats dont les propriétaires ont été quelque peu éblouis ; cet écoulement facile et à très haut prix ne pouvait pas toujours durer, et peut-être n’a-t-on pas assez prévu le retour inévitable à un état normal. Il est assez remarquable que le prix des denrées alimentaires reste fort élevé dans un pays pour lequel la nature a été très libérale. Les exportations extraordinaires des dernières années y sont pour quelque chose ; mais la vraie cause du phénomène est la cherté de la main-d’œuvre, qui résulte de la rareté des bras. L’effectif des travailleurs agricoles peut être évalué à 400,000n y compris même les enfans qu’on peut utiliser, et si je compare ce chiffre à l’étendue des terres cultivables, qui est de 8 millions d’hectares, j’entrevois seulement un travailleur par 20 hectares. Avec un personnel aussi restreint, il faut que les propriétaires s’en tiennent à la culture extensive, qui exige peu de bras et laisse travailler la nature, mais qui rend fort peu. La production ainsi limitée suffit à peine à la consommation intérieure et aux demandes de l’étranger. La rareté relative de la marchandise fait les hauts prix.