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peine à persuader aux pelucones qu’il y a solidarité d’intérêts entre le parti ultramontain et le parti ultra-conservateur.

L’influence mystérieuse dont les pelucones allaient devenir les instrumens se manifesta dès l’année 1851, avant même que les derniers feux de la guerre civile fussent éteints. Une pression très vive fut exercée sur le nouveau président pour obtenir de lui qu’il confiât au clergé la direction de l’Institut national. Une scission dès le lendemain de la victoire n’aurait pas été sans danger. M. Montt céda avec regret sans doute. L’année suivante, il était obligé de signer un décret de destitution contre les employés ecclésiastiques de l’Institut, parce qu’il avait cru découvrir en eux un parti-pris de dénaturer l’établissement, de comprimer cette émulation intellectuelle qui distingue le Chili au milieu des républiques hispano-américaines.

Après des tentatives réitérées et souvent malheureuses du parti rétrograde en faveur du clergé, les chefs de l’ultramontanisme comprirent qu’ils ne devaient pas compter sur le concours aveugle du gouvernement. Cette défiance donna lieu à un incident qui est probablement sans analogue dans les annales parlementaires de l’Europe. Les auteurs de la constitution chilienne ont voulu que le sénat, quoique électif, fût formé de manière à opposer une force de résistance aux entraînemens de la démagogie : ces puissantes familles où l’on conserve le culte du passé y sont toujours représentées dans une très large proportion. L’ultramontanisme a donc beaucoup de prise sur ce corps. Pendant la session de 1854, un projet de loi, élaboré dans le plus profond mystère, fut introduit au sénat en vertu de l’initiative attribuée à ses membres, discuté et adopté en une seule et même séance[1]. Or ce projet n’était rien moins que l’annulation de la loi qui a frappé les jésuites de bannissement, et le rétablissement de la compagnie de Jésus, en lui accordant, sous forme de restitution, de grandes propriétés territoriales ! L’Europe comprendra difficilement qu’on ait pu tant déclamer et soulever tant de passions contre la prétendue prédominance du pouvoir exécutif dans un pays où des lois de cette importance peuvent être adoptées par un des grands corps de l’état sans que le pouvoir exécutif en sache rien.

Il est probable que le comité jésuitique, en frappant son petit coup d’état, avait voulu, comme on dit, mettre M. Montt au pied du mur, et voir s’il oserait se séparer ouvertement du puissant parti

  1. Le sénat ne compte que vingt membres, et la présence de treize d’entre eux légalise les opérations : il suffit donc, en pareil cas, du concert de sept personnes pour constituer une majorité. À cet égard, le règlement des chambres chiliennes appelle évidemment une modification.