Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/883

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour M. Flandrin, nous l’avons dit, l’intervalle fut court entre les années consacrées à l’étude et les premiers succès publics. Peu d’artistes sont entrés aussi rapidement que lui en possession de la célébrité : il n’en est pas qui, depuis l’époque des débuts, ait plus obstinément persévéré dans la même voie, et mieux justifié par la constance de ses efforts la sympathie permanente de la foule. Pour ne parler que des anciens condisciples de M. Flandrin, quelques-uns, et des plus favorablement accueillis d’abord, ont même sans démériter rencontré parfois l’indifférence, sinon les rigueurs de l’opinion. D’autres, après d’éclatantes promesses ou des gages sérieux de fidélité, ont brusquement renié la foi de leur maître et compromis ou faussé leur talent en prétendant l’affranchir : témoin Ziégler, le peintre de Giotto enfant, tableau dont la composition ingénieuse et la grâce facile permettaient d’espérer des œuvres moins emphatiques que l’Hémicycle de l’église de la Madeleine ; témoin surtout Théodore Chassériau, le plus richement doué peut-être de tous les artistes appartenant à cette génération, mais que devait bientôt tourmenter le rêve d’une conciliation impossible entre les souvenirs de l’école d’où il était issu et l’imitation de la manière de M. Delacroix. M. Flandrin n’a jamais connu ni ces alternatives de succès et de revers, ni ces agitations, ni même le doute. Convaincu de bonne heure, il ne s’est pas laissé ébranler un seul jour dans sa croyance. Adopté tout d’abord par le public, il a vu sa réputation grandir à chaque œuvre nouvelle, et les différens partis qui divisent l’école contemporaine se réunir pour honorer en lui un talent au-dessus de la discussion. Peut-être ces encouragemens unanimes ont-ils achevé ce que les premières études et la volonté personnelle avaient commencé de développer ; peut-être convient-il d’attribuer en partie à l’expérience d’une heureuse fortune ce caractère de sérénité, de facilité paisible, qui va s’affirmant de plus en plus dans les travaux successifs de M. Flandrin, et qui, entre autres qualités, recommande hautement son dernier ouvrage, les peintures de la nef de Saint-Germain-des-Prés.

La forte discipline à laquelle M. Flandrin fut soumis dans sa jeunesse, plus tard le concours bienveillant que l’opinion ne cessa de lui prêter, voilà donc, à notre avis, deux faits dont il est juste de tenir compte lorsqu’on apprécie ce talent, mais qui ne sauraient ni en diminuer la valeur, ni en expliquer complètement les origines. Même avant de recevoir les leçons de M. Ingres, le jeune artiste avait déjà fait preuve, sinon d’habileté véritable, au moins d’instinct pittoresque et de bon vouloir. Comme il arrive d’ordinaire chez les hommes qui doivent consacrer leur vie à la pratique des arts, la vocation se déclara chez lui dès l’enfance, et, ce qui est plus digne de