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vont naturellement en haussant par l’effet d’une demande croissante de travail, et les profits des capitaux en baissant, par suite de la multiplication et conséquemment de l’offre croissante des capitaux ; on ne peut que recommander la lecture de ce passage à ceux qui nous représentent chaque jour la hausse artificielle de l’intérêt pour quelques placemens privilégiés comme un signe de prospérité nationale. Il montre ensuite comment les uns et les autres sont soumis à des inégalités naturelles par suite du plus ou moins de difficulté du travail, du plus ou moins de satisfaction morale, du plus ou moins de risque, etc. Chacune de ces considérations prise à part donne lieu à d’intéressans développemens, mais elles s’évanouissent toutes devant la considération suprême qui les termine : Des inégalités causées dans les salaires et dans les profits par la politique générale de l’Europe. C’est en effet ici que vient se poser en face des anciens privilèges ce qu’on peut appeler le principe des principes : la liberté du travail. « La plus sacrée et la plus inviolable des propriétés, dit Smith, est celle de son propre travail, parce qu’elle est la source originaire de toutes les autres. Le patrimoine du pauvre est dans sa force et dans l’adresse de ses mains, et l’empêcher d’employer cette force et cette adresse de la manière qu’il juge la plus convenable, tant qu’il ne porte de dommage à personne, est une violation manifeste de cette propriété primitive. C’est une usurpation criante sur la liberté légitime, tant de l’ouvrier que de ceux qui seraient disposés à lui donner du travail, c’est empêcher à la fois l’un de travailler à ce qu’il juge à propos et l’autre d’employer qui bon lui semble. On peut bien en toute sûreté s’en fier à la prudence de celui qui occupe un ouvrier pour juger si cet ouvrier mérite de l’emploi, puisqu’il y va assez de son propre intérêt. La sollicitude qu’affecte le législateur pour prévenir qu’on n’emploie des personnes incapables est évidemment aussi absurde qu’oppressive. » On reconnaît dans ce passage non-seulement les principes, mais presque les termes du célèbre édit de Turgot publié quelques mois avant les Recherches. « Dieu, y est-il dit, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme, et cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes, etc. »

Voilà dans toute sa simplicité le mot qui a changé le monde et qui le transforme encore tous les jours. Devant lui sont tombés les anciennes corporations, les douanes intérieures, les monopoles par trop excessifs ; devant lui disparaîtront tous les autres obstacles qui s’opposent encore à l’affranchissement du travail, car il n’a fait que la moitié de sa tâche, et ce qui lui reste à faire équivaut au moins à ce qu’il a fait. Devant lui reculent la misère, l’ignorance, le vice et