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le crime, car, quoi qu’on en dise, le monde s’améliore dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, et les lenteurs, les éclipses, les retours que subit ce mouvement réparateur, tiennent de près ou de loin aux atteintes que subit encore le grand moteur des sociétés modernes, le principe de liberté.

La question délicate de la rente du sol n’a pas été aussi bien éclaircie par Smith. C’est au contraire à cette partie des Recherches que remonte la définition de la rente, qui, reprise plus tard et développée par Ricardo, a jeté sur ce sujet une si déplorable confusion. Smith, comme Ricardo et tous les économistes anglais, entend uniquement par rente le prix payé au propriétaire (landlord) pour la jouissance de la puissance productive naturellement inhérente au sol ; mais ce n’est pas là tout le sens que l’usage attache au mot rente. On entend ordinairement par ce mot, et Smith lui-même s’en sert dans ce sens, toute espèce de rétribution payée au propriétaire pour la jouissance, soit du sol proprement dit, soit de tous les capitaux incorporés au sol, comme clôtures, bâtimens, défrichemens, fumures, amendemens, chemins, etc. Smith a bien eu le sentiment de cette confusion, il n’a malheureusement pas cru devoir s’y arrêter. L’habile auteur de la Richesse des Nations aurait épargné à ses successeurs bien des tortures d’esprit et à la science économique bien des écarts, si, insistant davantage sur cette idée, il avait adopté des mots différens pour désigner des choses différentes. À vrai dire, il en faudrait trois. Le mot générique de rente devrait être employé, suivant l’usage universel, pour désigner l’ensemble de la rétribution payée au propriétaire ; puis cette notion devrait se diviser en deux : le prix payé pour l’usage de la faculté productive naturelle au sol et le prix payé pour l’usage des améliorations incorporées ; l’un pourrait s’appeler rente naturelle ou gratuite, et l’autre rente acquise ou capitalisée. La première de ces deux rentes recule avec le temps, et finit presque toujours par disparaître dans la seconde. En se servant d’un seul mot pour ces trois significations, on a conduit quelques esprits ardens à de monstrueuses erreurs, entre autres à la négation plus ou moins formelle du droit de propriété, ce qui aurait fort épouvanté l’honnête philosophe de Kirkcaldy, s’il avait pu s’en douter.

Cette observation n’est pas la seule que suscite cette partie des Recherches. Le principal défaut de ce puissant ouvrage, ce qui en rend la lecture difficile pour quiconque n’y apporte pas une attention opiniâtre, c’est la longueur des digressions. À propos de cette étude sur la rente de la terre, matière assez ardue par elle-même, l’auteur se jette tout à coup, sans qu’on puisse saisir la liaison des idées, au moins au premier abord, dans une dissertation à perte de vue sur les variations de la valeur de l’argent (silver) depuis