Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le XIVe siècle. Cette discussion historique abonde, comme tout ce qu’a écrit Smith, en recherches curieuses et en aperçus profonds, mais elle est hors de proportion avec l’étendue totale du premier livre, dont elle forme environ le tiers. Le sujet eût mérité un ouvrage à part, car il en est peu de plus obscurs, même aujourd’hui, et bien qu’il ait pris depuis plusieurs années un intérêt de circonstance par l’affluence inusitée de l’or qui nous arrive des nouveaux mondes. Malgré ces défauts d’ordonnance, le premier livre de la Richesse des nations est le magnifique portique d’un magnifique monument. L’économie politique est déjà là tout entière ; les successeurs de Smith pourront mettre plus d’ordre et de méthode dans leur exposition, éclaircir quelques points obscurs, démêler quelques confusions, développer des applications de détail : ils ne changeront rien aux bases qu’il a posées, d’accord avec Turgot.


III

Le second livre est consacré aux capitaux. Pour exprimer l’idée que nous attachons au mot capital, Smith se sert de deux termes, stock et capital. Stock est un mot de la langue anglaise dont nous n’avons pas l’équivalent et qui signifie toute espèce d’approvisionnemens, qu’ils soient destinés à être consommés ou à servir d’instrumens de production ; le mot capital est réservé pour désigner la partie du stock qui sert à la production. Ainsi voilà cent hectolitres de blé, dont la réunion forme un stock ; on en retire dix hectolitres pour la semence, c’est un capital. Il faut avouer que cette langue est plus claire et plus précise que la nôtre. Après cette première distinction entre le fonds de consommation et le fonds de production d’un pays, Smith en établit une autre non moins importante entre les capitaux fixes et les capitaux circulans. Que de nations et de particuliers ont mal tourné, pour n’avoir pas assez compris ces simples différences entre le fonds de production et le fonds de consommation, entre le capital fixe et le capital circulant, et pour avoir trop sacrifié l’un à l’autre ! La notion du capital circulant conduit naturellement à la théorie de la circulation (currency). L’argent monnayé (money) est, d’après l’heureuse expression de Smith, la grande roue de la circulation, c’est là son véritable rôle. Par lui, les capitaux peuvent passer rapidement de main en main et multiplier par leur mouvement autant que par leur quantité leur puissance productive. Quand ce mouvement s’accélère, l’or et l’argent peuvent être remplacés dans une certaine mesure par le papier : la circulation s’établit alors sur une seconde roue, qui coûte beaucoup moins à fabriquer ou à entretenir que l’ancienne ; mais comment