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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/914

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mais celle qu’il préfère comme la plus avantageuse, c’est l’agriculture : aucun capital, à quantité égale, ne lui paraît mettre en activité plus de travail productif que celui des cultivateurs. Ensuite vient le capital des manufacturiers, puis celui des commerçans à l’intérieur, tant en gros qu’en détail ; le moins productif de tous lui paraît celui qui sert au commerce avec l’étranger. On s’étonnera peut-être de cet ordre, mais il est essentiel aux yeux du patriarche de l’économie politique. Dans le cours naturel des choses, c’est l’agriculture qui doit occuper le premier rang parmi les industries humaines, soit par l’abondance de ses produits, soit par les profits qu’elle procure aux capitaux, et si le contraire arrive trop souvent, c’est que l’ordre naturel est interverti par une mauvaise organisation. Enfant d’un pays agricole, Smith manifeste pour l’agriculture une prédilection marquée ; il constate que dans les pays neufs, comme en Amérique, où rien n’a encore faussé l’ordre naturel, l’agriculture crée rapidement d’immenses richesses. C’est la même doctrine que soutenaient alors les économistes français.

Le défaut général de proportion dans la composition des Recherches se fait surtout sentir dans le troisième livre, qui n’est tout entier qu’une digression historique. Fidèle à cette idée première que si le cours des choses n’était point dérangé par les institutions humaines, les hommes préféreraient la vie des champs comme la plus naturelle et là plus productive, et ne s’enfermeraient dans les villes qu’autant que la campagne ne suffirait plus à leur activité, Smith se demande comment cet ordre a pu être si généralement bouleversé dans l’Europe moderne, et il voit la cause de cette anomalie dans les événemens qui ont suivi la chute de l’empire romain. Pour échapper aux déprédations des Barbares et des chefs féodaux qui leur ont succédé au moyen âge, les populations ont trouvé un refuge dans les villes ; les campagnes sont restées au contraire exposées à tous les ravages. Ainsi formées et développées par la force des circonstances, les villes ont réagi sur les campagnes, et au lieu d’être un effet de la culture, le commerce et les manufactures en sont devenus l’occasion et la cause. En traçant ainsi à grands traits l’histoire des villes et des campagnes en Europe, Smith passe rapidement en revue les différens modes d’exploitation du sol, comme le fermage, le métayage, la corvée, le servage. Ce qui est surtout digne de remarque, c’est son opinion sur le droit d’aînesse et les substitutions ; contrairement aux idées qui ont prévalu depuis en Angleterre, il se déclare, partisan de l’égalité des partages, et n’hésite pas à attribuer au droit d’aînesse, aux substitutions, à tout ce qui met obstacle à la division du sol, une mauvaise influence sur l’agriculture. C’est encore la même idée que soutenaient